Eblouissantes ténèbres

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Le centenaire de la naissance de Gabrielle Wittkop (1920-2002) nous sert comme sur un plateau l'occasion de parler de plusieurs livres publiés par des sectateurs de Sade et de Sacher-Masoch : tout d'abord un essai des éditions Rouge profond : Le Masochisme au cinéma de Jean Streff, (qui paraît en même temps que Sade et le cinéma de l'Italien Alberto Brodesco. Le livre de Streff est une réédition (H. Veyrier, 1990), les deux s'intéressant aux formes cinématographiques de cette "aberration épouvantable de la débauche", telle que dans son dictionnaire Boiste définissait le sadisme au cours du premier tiers du XIXe siècle.
Streff, qui connaît la partie et est de ces cinéphiles à la Yves Martin qui voient tout ce qui sort, jusqu'aux plus discrets films de série Z. Il en connaît donc un brin, je voulais dire une lanière, et notamment sur les quatre types de masochisme qu'il nous apprend à distinguer. Le dernier étant, comme chacun ne sait sans doute pas, le masochisme puéril. Saviez-vous, par ailleurs, que Julien Duvivier, le réalisateur, a parfaitement illustré le masochisme servile ?Allez, battons notre coulpe, notre inculture est grande...
C'est tout un monde de rapports troubles et troublants que nous invite à visiter Jean Streff. Et il aura, Jean Streff, dans ce jardin des supplices sa statue en talons, lui qui se repaît des "ténèbres éblouissantes" jusque dans le cinéma comique ("Le ridicule fait jouir", prétend-il). Il est ici aidé par François Angelier, voisin d'étage et de mauvais genre qui nous le préface sur un plateau fameusement équipé des références idoines, dans un exercice panégyrique évidemment où l'homme de radio revient sur le rôle dans le parcours de Streff de Marcel Schneider (pour l'écriture), de Jean Boullet, le libraire à chaînes de Montparnasse, "influence séminale des 1950-1960", et du réalisateur Bénazéraf. Streff paraît tel qu'en lui-même depuis sa fascination pré-adolescente pour L'Amour fouetté (1925) de Gaston Vincennes, un classique de la flagellation.
Dans son essai, c'est, écrit François Angelier, à une autre subversion que se livre Streff : il opère en particulier à "d'étranges agglomérations de texte : dépêches AFP, citations de textes classiques et témoignages authentiques". Pour Streff, importe la mise à plat de la hiérarchie des sources, rendant aux matériaux une égale dignité, qu'ils soient "nobles et ignobles", provoquant des "entrechoquements savoureux" : on retrouve, nous dit Angelier, dans le même ascenseur pour l'extase : le témoignage d'une jeune gouvernante anglaise (...), le Satyricon de Pétrone, Boileau (...), le De usu flagorum de Meibonius puis une évocation d'Exhibition n° 2. Au monde de la jouissance reine, l'ordre culturel se retrouve cul par-dessus tête".
Rien que de normal, songerez-vous, car comme l'a bien compris Streff,

Il faut rendre grâce aux Américains et aux Japonais d'avoir les premiers fourni leur pâture cinématographique à des millions de "pervers", puisque, selon Freud, "le masochisme est la plus répandue et la plus marquante de toutes les perversions".

Nous voici prévenus, et pour poursuivre un peu, allons voir du côté des Italiens bien représentés par Albert Brodesco qui nous fait une visite de propriétaire et rallonge la liste des bobines à visionner. Pasolini, Topor, certes, mais il sont loin d'être les seuls... A nos projos !


Jean Streff Le Masochisme au cinéma. Préface de François Angelier — Aix-en-Provence, Rouge profond, 2020, 221 pages, 20 €
Alberto Brodesco Sade et le cinéma. Regard, corps, violence, traduit de l'italien par Vasessa Hélain. — Aix-en-Provence, Rouge profond, 2020, 354 pages, 20 €

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