Creixams (1926)

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Creixams

A Montmartre, près d'un cimetière, dans l'ombre du Sacré-Coeur, en un atelier grand comme une chambre de bonne, vit et travaille un peintre dont l'existence fut jusqu'ici singulièrement mouvementée.
>Creixams est un Espagnol, fils d'humbles ouvriers.
A sept ans, il était laveur de vaisselle à bord d'un bateau faisant la navette entre Barcelone et les Baléares. Mais il voulait être peintre.
A neuf ans, il devint apprenti forgeron. A onze ans, il était menuisier. A treize ans, il était imprimeur. Mais il voulait être peintre.
A quinze ans — tenez-vous bien ! - il obtint un premier prix de comédie au Conservatoire de Barcelone, et à seize ans, il jouait déjà dans les principaux théâtres d'Espagne. Mais il voulait être peintre.
Or, la peinture ne donne pas, du jour au lendemain, de quoi manger et se vêtir.
A vingt ans, Creixams devint directeur d'une troupe dramatique. A vingt-deux ans, las de la vie errante, il revint à l'un de ses premiers métiers : celui d'imprimeur. Puis il passa en France, après avoir été, faute de mieux, ajusteur mécanicien à Albi. Là, il mit de côté l'argent nécessaire pour gagner Paris qui l'attirait, et entra dans l'atelier typographique de François Bernouard.
C'est à ce moment-là que, pour la première fois, il conçut la possibilité de réaliser son vœu. Il fit la connaissance de Derain, de Vlaminck, de Guérin, de Picasso, de Max Jacob, de Cocteau, de Blaise Cendrars et d'André Salmon. Ces artistes le reconnurent pour l'un des leurs. Ils l'encouragèrent. Maintenant Creixams, enfin, est peintre !
Les misères de son enfance fiévreuse et nostalgique sont restées en lui. C'est cela qu'il exprime avec une sincérité poignante, avec la vérité de celui qui ne connaît que trop le sujet traité, avec une éloquence âpre et une sensibilité délicate.
Joueurs de guitare aux - mains maigres, estomacs creux, gamins aux yeux cernés, vêtements qui pendent sur des corps de substance misérable, taudis où le soleil se transforme en un rayon d'ambre à travers les carreaux poudreux, figures hâves, regards trop brillants, voilà ce qu'il exprime, par une sorte d'obsession voluptueuse. Un mélange de mysticisme et de réalisme le caractérise, en même temps qu'un don incontestable et une personnalité audacieusement affirmée.
Goya eût aimé ses tableaux. Et Baudelaire eût goûté le charme inattendu de ce chapeau haut de forme, leitmotiv des compositions de Creixams, de ce tube noir dont il affuble ses pauvres bougres pour symboliser leur écrasement par le bluff du temps où nous vivons.

Paul Reboux.




Paris-Soir, 26 mai 1926

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