Maurice Roche 1975

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Malgré son grand âge et le lourd labeur (oh oui) qu'il a accompli, ma foi, l'Alamblog qui n'est arrivé au bout de sa réserve de bienveillance, continue de vous gâter. Il faut dire que la vie est si délicieuse sur son île qu'il aurait mauvais fond de ne pas partager, un peu, de son bonheur quotidien.
Parmi nos récentes glanes, voici le plaisant Maurice Roche de 1975, souriant comme tout.
N'est-ce pas délicieux ? Il répondait au début de l'automne à des tas de questions point trop bienveillantes de Jean-Louis Ezine. Extraits pour la bonne bouche.

Maurice Roche où comment l'écriture se donne en spectacle


Sur le fugace passé qui reste sur place (Proust) :

Le mot peut en effet s'appliquer à la manière dont j'écris, dans la mesure où l'utilisation de l'espace de la page y est primordiale. Ramuz avait dit, à peu près : "le temps est la maladie du roman, et l'espace le seul moyen de l'en guérir."

Sur le rôle de Maurice ROche comme "prof" des "meilleurs élèves de l'avant-garde" qui se détourneraient de cette voie;

J'ai au contraire le sentiment que la classe est très, très pleine. Pleine de mauvais sujets. Il y a beaucoup d'épigones. On m'a d'ailleurs dit récemment que mes livres avaient fait des petits. Ca ne me chose pas d'avoir des petits ! Malheureusement, ils ne sont pas toujours très beaux... Ils ne me semblent attachés qu'à l'aspect superficiel de notre démarche. En réalité, ils n'essaient pas de voler de leurs propres ailes. Ils volent tout court... Je ne leur en fait d'ailleurs pas reproche, je ne suis pas contre le plagiat. Wagner disait : "En art, le vole ne se justifie que par l'assassinat." Encore faut-il assassiner ! Et la réciproque n'est pas vraie.

Sur Maurice Roche, initiateur à la modernité textuelle de nombreux auteur :

Dans certains cas, cela pourrait donner malgré tout de bons résultats. Il fut attendre la suite.

Ezine : "on vous voit courir après la paternité d'un courant littéraire que ses rescapés les plus vigoureux semblent maintenant vouloir remonter...

Comme vous y allez ! Je ne cours après aucune paternité, ais les manuscrits que je reçois, les livres que je lis m'inspirent certaines constatations. Au demeurant, je ne tiens pas particulièrement à faire école, comme on dit; Au contraire. Je n'ai pas envie non plus d'être seul...

Le bandeau de Opéra Bouffe mentionne "One man show" :

La solitude est, je crois, l'une des caractéristiques de la littérature Opéra Bouffe, c'est une sorte de théâtralité sans théâtre. Je suis seul, le lecteur est seul. C'est un échange de solitudes.

Cet échange serait-il un marché de dupes ? qui est le plus à plaindre du lecteur ou de l'auteur ?

Moi, je suis forcément à plaindre puisque je ne peux plus rien pour ce livre. Le lecteur, lui, peut entrer dedans, éventuellement le rejeter - mais cela, je ne l'apprendrai que rarement. En général, on fait confiance au lecteur.

Compte-t-il sur lui ?

Si je ne comptais pas sur le lecteur, je ne publierais pas.

Ezine : Mais lui au moins pourrait espérer, à l'inverse...

... que je lui facilite les choses ? Il me semble, justment, que je lui facilite beaucoup les choses. A la condition qu'il lise. Je me suis déjà entendu dire, en d'autres occasions : "j'ai feuilleté votre livre, je l'ai trouvé superficiel". La lecteur qui consiste à feuilleter me paraît elle aussi très superficielle ! Mais si on essie de lire...

Ezine : "On peut s'en tirer ?"

Ah, je crois, oui. Curieusement, certains livres qui essaient de refléter leur époque paraissent difficiles à leurs propres contemproains : on s'aperçoit ainsi que la plupart des gens ne vivent pas leur époque, mais qu'ils sont dans le passé. On observe souvent une espèce de nostalgie du passé chez les lecteurs, chez les auditeurs d'une oeuvre. Ce n'est pas qu'ils soient paresseux : ils ne sont pas de leur temps. Je considère que j'écris - et d'autres que moi, à leur manière - une littérature de mon temps. L'affirmation est plus modeste qu'on le croit, et je récuse d'ailleurs le temer "avant-garde" - je n'aime pas tellement cette métaphore militaire - autant que celui de "recherche" que je trouve prétentieux.

Maurice Roche appartiendrait à cette "frange d'écrivains" qualifiés "dans les tranchées majoritaires, d'illisibles".

Il ne faut quand même pas se fier aux étiquettes. En France, l'édition fonctionne sur ce qu'elle appelle les collections, mais plus le temps passe, plus je rencontre de gens qui me ressemblent, même et surtout s'ils s'en défendent.

"Comment vous, qui donnez, à travers cette écriture désarticulée, le spectacle d'une littérature en proie à sa propre dérision, pouvez-vous continuer à nommer votre travail ? Vous persévérez à vous considérer, envers et contre le sens même de vos éclats, comme une "auteur de romans"... (JL Ezine)

C'est que j'utilise une forme romanesque, même si ce n'est pas celle... Dieu merci... de Michel de Saint-Pierre. Une forme qui s'inscrit, je le crois, dans la sensibilité moderne, et qui n'est pas plus désarticulée que celle de Guerre et Paix de Tolstoï avec ces chevauchements infinis de personnages interchangeables... On voudrait refuses à mes textes la qualité romanesque comme d'autres refusent à la musique de Boulez la qualité mélodique, révélant du même coup qu'ils ne sont pas accoutumés à cette mélodie. Mozart, Bizet avaient subi le même procès ! Si une certaine littérature fait pour aujourd'hui, c'est aussi parce qu'elle s'est débarrassée des pesanteurs de la logique orthodoxe, un peu à la manière des mathématiques modernes : celles-ci nous ont déjà indiqué que le contraire du vrai n'était pas le faux, mais l'insignifiant. Ayant rejeté l'alibi des certitudes corvéables, toute une littérature cherche maintenant à traquer l'insignifiance, et voilà qui terrorise... Que l'on trouve mes livres rebutants dans leur forme ne me gêne pas, au contraire : cela m'assure que rien n'est perdu pour le fond, qui est bien plus agressif. Dès lors que l'apparence offre tous les apaisements, le contenu s'égare, s'affaiblit et ne passe plus. Alors, quand je monte sur mes petites barricades, je ne fais pas semblant de parler à la Chambre.

Ezine, qu'il faut citer, une fois de plus : "L'imposture, en somme, c'est qu'on écrive de gauche à droite et de haut en bas."

Non, mais il faut avouer que l'Occident n'est pas très bien servi, sous ce rapport. Dans certaines écritures orientales, la pensée fonctionne avec sa représentation visuelle. Notre alphabet romain est principalement approprié à l'écriture des juristes, et Virgile, de ce point de vue, peut passer à juste titre pour le plus grand poète romain :qui osera avouer à quel point il est emmerdant ?

Réactionnaire l'alphabet ?

Je m'étonne qu'on n'ait pas essayé d'en changer.

Ezine, toujours, un peu consternant : "On comprend mieux vos difficultés et vos angoisses..."

Je me méfie un peu des écrivains qui se pourlèchent ou semblent éprouver beaucoup de plaisir à écrire.

Autre remarque d'Ezine sur la page blanche comme un mur contre lequel Roche n'en finirait pas de poser des échelles

Il y a des précédents : Mallarmé, le coup de dés... Si je me sens plus proche d'Artaud et de Joyce que de Benjamin Constant et de Paul Bourget, ce n'est pas que je veuille quereller la littérature classique. Mais vous ne trouveriez pas incongru d'écrire un quatuor à cordes aujourd'hui dans le vocabulaire de Mozart ?... Le temps de Stendhal n'est pas le nôtre. Lisons Stendhal pour connaître le sien ! Je n'ai pas trop la beauté, le génie, quand on prétend leur donner une figure intemporelle : il leur faut vaincre avec des stratégies toujours nouvelles. Les éléphants d'Annibal ne pourraient rien aujourd'hui contre une mitrailleuse Hotchkiss

La mort du héros ?

Il finit toujours par mourir, de toute manière. Autant le prendre à ce moment-là.

"Il est mort le vieux con" (Opéra Bouffe)

C'est moi, c'est le lecteur, c'est peut-être le livre...

"Celui qui dans ce récit se (s'y) retrouverait l'aurait bien cherché"

Quand on écoute une symphonie de Beethoven, on ne cherche pas le personnage. Mais le personnage est inévitable en littérature, et par réflexe le lecteur de roman, quand ce n'est pas l'auteur, cherche toujours à s'identifier à lui... J'essaie pour ma part de faire en sorte que le texte, par ses jeux funèbres, ses rictus visuels, ses invites sonores, devienne lui-même le personne du livre. Mais chaque lecteur crée toujours sa propre dramaturgie, à travers le roman qu'il lit, et c'est bien triste : quand pourra-t-on dans ces conditions, écrire enfin "le" roman ?



Les Nouvelles littéraires, n° 2500, 28 septembre-5 octobre 1975.

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