Serge (1926)

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Le Portrait du jour
Serge

C'est un Parisien de Paris, un môme de Paname, un mec de Pantruche, un petit gars tout à fait à la page — à la bonne page — issu de trois générations de Parisiens, qui se cache sous ce prénom russe.
Peut-il être autre chose qu'un des produits les plus quintessenciés des faubourgs populaires du "cerveau du monde", ce gavroche très vingtième siècle, lâché tôt dans la vie, dans la rue, qui trouve le moyen de se débrouiller (soyons poli), de vivre tour à tourcomme mécano d'aviation, dessinateur industriel, calqueur en béton armé et électricité, comédien, décorateur, courriériste de modes, modeliste pour figurines, cartographe, sergent de tirailleurs, ventriloque et qui, tout jeune encore, attire l'attention des artistes les plus difficiles sur ses dessins (n'est-ce pas, Joseph Galtier-Boissière ? N'est - ce pas, Robert Rey ?)
Il collabore à une bonne trentaine de journaux et publications dont le Crapouillot, Clarté, Cinéa, Les Annales, Le Journal des Voyages (nouvelle manière) et Der Quersclmitt (Berlin). Il expose au Salon de l'Araignée, au Salon du Cinéma, etc. Il illustre Erotique, de F.-G. de Maigret ; M. Mossard, amant de Néère, de Théo Varlet ; Edmonde séduite, de Pierre de La Batut, etc.
Et, derrière toutes ces faces, à la fois grotesques et sublimes humaines. derrière tous ces types de théâtre, de music-hall, de cirque, de cinéma et de fêtes foraines qu'il aime croquer, les âmes, éblouies par le spectacle d'une époque de fièvre qui meurtrit les corps et les cœurs, racontent leurs peines et leurs joies.
Dans ses "Synthèses Cinégraphiques", je vois Charlie Chaplin, Conradt Veidt, Lilian Gish, William Hart, Mary Pickford — le cinéma mondial ! Veut-il représenter le cinéma français d'avant-garde ? Serge fait une synthèse avec La Roue, d'Abel Gance ; Fièvres, de Louis Delluc ; L'Inhumaine, de Marcel L'Herbier, et Cœur Fidèle, de Jean Epstein.
Sur cette image, vous lisez mieux que dans un rebutant ouvrage l'histoire du cinéma et vous voyez à quel point cet art en. est aujourd'hui chez nous. Magnifique privilège de l'art du peintre — ou du dessinateur, ou du Sculpteur — qui s'exprime promptement et directement, sans le secours d'intermédiaires infirmes.
Et voulez-vous maintenant connaître un autre Serge, le Serge qui se souvient d'avoir été un petit Parigot mélancolique avant de courir les fêtes foraines, les cirques, les music-halls, les théâtres, les cinémas, les dancings et les boîtes de nuit ? Tâchez donc de trouver dans quelque collection vieille de quatre ou cinq ans, ce croquis preste, aigu et incisif comme un coup de griffe, où, dans un paysage galeux des fortifs, avance le corbillard des pauvres, suivi par une seule femme à fichu.
Quelques traits, et c'est Paris, toute la misère et toute la tristesse poignantes de Paris — l'envers du décor (à moins que ce n'en soit l'endroit) et qu'on ne peut pas oublier, quand on l'a regardé avec de bons yeux.
Gabriel Reuillard


Paris-Soir, 2 août 1926.

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