Du W et de ses rapports avec la Bible (H. H. Ewers, T. F. Powys et puis A. Kubin)

La canicule ne suffisait pas, il fallait qu'on nous inflige hier un "Grand Entretien" avec Didier Decoin dans Le Parisien. Oui, comme vous dites, fichtre, le bougre s'exprime encore. Pis, on semble s'intéresser à ce qu'il peut bien raconter (l'avenir du monde sans doute, ou de la métaphysique spéculative peut-être, allez savoir avec un tel foudre). Ou bien est-ce un mirage, un trompe-l'oeil et le Parisien (celui qu'il vaut si justement "mieux avoir en journal") a d'autres préoccupations que les bouche-trous de la presse locale durant les semaines creuses. Comme il est vrai qu'à Paris l'irrigation des champs de tomates n'excite pas les foules, on peut supposer que les déclarations de Denis Tillinac ou de Claude, pardon Christian Signol dans les pages de Sud-Ouest ne changent pas le cours des choses dans le Gers ou l'Aude.

Passé ce constat en demi-teinte (pas la force de faire plus virulent), nous avons eu le loisir de relire les nouvelles d'Ewers (et oui, on vous avait promis) et de découvrir celles de Powys. Double régalade, grand plaisir. Les traducteurs (Evanghelia Stead, Antje Vöge-Dyson pour le premier ; Patrick Reumaux pour le second) ont fait du beau travail, on les en félicite. De même que l'on salue Alexandre Clerisse pour son illustration en couverture du livre de Powys. Vous avez vu ? Oui, elle est très belle. Bravo.
Nous avons singulièrement apprécié "Quand tu étais nue" de Theodore Francis Powys qui, de l'Angleterre rurale, nous trace une esquisse aussi délectable que fine. Et fine comme un scalpel ! L'Homme y est peint de l'intérieur avec une touche de douce ironie qui donne au tableau un petit air malicieux. Et qui mieux que Patrick Reumaux pouvait traduire un tel texte ?
Le plus surprenant est qu'au cours de notre lecture — ô dieu du hasard, que tu nous es utile —, nous retombâmes boum sur "Biblebilli", la brève nouvelle d'Ewers — contrairement à Powys, H. H. Ewers n'est pas un disert : Ewers est de son temps, le début du siècle dernier, et de sa ville : Berlin, toute l'énergie d'un monde en mutation se condense dans des mots directs, sans apprêt et des récits aussi farfelus que l'invention de l'aéroplane, du zeppelin, des enseignes lumineuses, des récits assez curieux pour attacher son lecteur avec le fil (que dis-je : la corde) de la curiosité. On y découvre un directeur de théâtre dont la principale attraction, lui-même, est capable de réciter la Bible, à l'envers ou à l'endroit, quel que soit le verset qu'on lui commande d'éjaculer.
Or, chez Powys, c'est le brave Mr Priddle qui, acquéreur d'une vieille Bible inutile lors d'une vente aux enchères, a glissé en ses pages le monde et sa propre destinée. Expliquons-nous : il est convaincu d'avoir entre les mains le Livre des livres, celui qui relate l'alpha et l'oméga d'une histoire qui toujours se répète. Aussi s'attache-t-il à découvrir sous quelles figures de familiers ou de ses voisins se cachent les personnages bibliques. Bien entendu, les rapprochements ne manquent pas de sel, notamment lorsque deux jolies servantes, apparemment sages, débarquent dans le petit monde herbu de Mr Priddle, esq.
Powys est, franchement, un délicat régal.
Mais ne boudons pas notre plaisir : les fantaisistes histoires d'Ewers valent qu'on s'y penche aussi, et tout autant, pour peu que l'on aime les courbes et les campagnes d'encouragement au coït externe... Il y a là là quelque chose des folatries pince-sans-rire d'un Captain Cap (Alphonse Allais) et de son disciple Gabriel de Lautrec, des odeurs d'acier chaud senties chez Walter Serner, l'excitation des âges nouveaux perçue chez Franz Hellens, ou bien encore l'inattendu des Histoires burlesques et grostesques d'Alfred Kubin.
Profitons de l'occasion pour saluer la traduction de Christophe David, qui s'est engagé à nous faire découvrir enfin l'oeuvre kubinienne dans ses recoins. Enfin.



Theodore Francis Powys, Le Fruit défendu,
traduit par Patrick Reumaux, L'Arbre Vengeur, 127 p., 11 €

Alfred Kubin, Histoires burlesques et grotesques,
traduites par Christophe David, Phébus, 160 p., 13,50 €

Hanns Heinz Ewers, Tannhaüser crucifié,
traduit par Evanghelia Stead et Antje Vöge-Dyson, Sillage, 128 p., 9,50 €

Signalons aussi le site dédié à l'Allemand : www.hanns-heinz-ewers.com


Le trio du jour, j'ai nommé MM. Powys (TF), Kubin et Ewers.

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