Daniel Mauroc, Paris, automne 2005 (copyright E. Dussert)
Sans plus de détail, nous avons appris la disparition de Daniel Mauroc.
Voici le portrait que nous consacrions dans le Matricule des Anges (n° 68, novembre-décembre 2005) à cet écrivain, traducteur et revuiste, familier des rues new-yorkaises, où il fréquenta le gratin de la génération Beat. Il en avait profité pour offrir aux lecteurs francophones quelques livres-cultes.
Le premier témoin
Il a tant de souvenirs qu’ils se mêlent, et lorsqu’il donne une date, ce n’est jamais sans incertitude. Il faut recourir aux achevés d’imprimer pour établir un millésime et garantir un minimum de vraisemblance à un parcours qui part en fumée. Un portrait d’étincelles et de foudres pourtant car Daniel Mauroc, qui regrette peu de n’avoir jamais tenu le journal de ses rencontres, a été un éminent passeur franco-américain. On pourra dire qu’il fut, lui aussi, un passant tant son existence semble avoir été construite au hasard des rencontres.
Né à Paris en 1926, fils du patron d’une petite maison d’édition, il grandit dans la capitale d’abord puis à Toulouse, et lorsque, en 1942, le besoin d’air se fait sentir, il gagne l’Angleterre en traversant l’Espagne. Quinze jours de voyage le mènent à Londres, en compagnie du maître du Grand Orient de France, Sublime Prince du Royal Secret pour les intimes, qui lui présente quelques personnes et lui permet de rencontrer De Gaulle. Dix minutes d’entretien convainquent le jeune homme que les militaires, fussent-ils en exil, ne sont pas gens sympathiques et il tourne les talons. Ses relations lui permettent d’entrer à la BBC où il est chargé d’une chronique d’actualité quotidienne à partir de 1943. Ses premiers contacts prolongés avec la langue anglaise.
À la fin de l’année 1944, Daniel Mauroc rentre à Paris avec un ami. Ils trouvent à piger dans la presse d’ici et d’ailleurs. Les journaux poussent comme des champignons à l’époque et l’écriture est une activité bien tentante. Des poèmes surgissent, des pièces de théâtre également, qui vont se jouer dès le début des années 1950, une décennie vouée à l’art dramatique : le 6 mai 1954, le théâtre donne la première des Poutres. Viendront La Neige cambriole et Sand in my uniform après les premiers poèmes de Tam-tam blanc (Somogy, 1949) et ce Contre-amour (Minuit, 1952), préfacé par Albert Camus.
Les années 50 sont pour Daniel Mauroc le moment de l’envol. À 23 ans, il fonde avec le poète et éditeur américain Elliott Stein la revue Janus, des Cahiers mensuels de la jeune poésie française et américaine qui paraîtront de mars 1950 à l’automne 1951, et dont les cinq livraisons offrent un assez beau panorama de la littérature du temps : se partagent la vedette Henry Miller, Frederic Prokosch, René Fallet, Patrice de la Tour du Pin, Jean Sénac, Gaston Criel, Maurice Raphaël, William Carlos Williams ou James Baldwin, qui n’a encore publié aucun livre et zone dans les hôtels borgnes de Saint-Germain des Près. Cette aventure franco-américaine fait long feu et Daniel Mauroc, attiré sans doute par le mythe new-yorkais fait ses valises. Direction la Grosse Pomme. Il y restera dix ans durant lesquels, fervent des rues et des cafés, il fréquente le gratin littéraire et artistique. Le Français est bien intégré, il coudoie Ginsberg, Burroughs et Kerouac, papote avec Sylvia Plath et Ted Hughes, ou bien avec Warhol à la Factory.
On ne peut s’empêcher de garder rancune à Daniel Mauroc de n’avoir jamais pris la peine de jeter sur le papier ces moments incroyables. Il regrette surtout, lui, l’immense liberté de cette vie new-yorkaise. Pour autant, la lecture de ses proses ultérieures contredit ces premières impressions. Celui qui fut l’hôte privilégié, le premier témoin des grands écrivains de sa génération a en effet essaimé dans Les Etreintes foules (Plasma, 1979) quelques fragments de ses riches heures. C’est là, en effet, que l’homme discret a caché ses trésors. Là, et dans Les Hommes-sandwiches, précédés du Village des évidents (Paul Vermont, 1977), deux récits qui témoignent eux aussi dans une langue fluide, parfois construite sur deux colonnes, d’une expérience unique.
Surtout, de retour à Paris au début des années 1970, Daniel Mauroc a entrepris de traduire la crème de ces auteurs d’outre-Atlantique. On a pu ne pas y prêter attention, ne pas remarquer au fil de parutions espacées dans le temps la présence de son nom, il est rétrospectivement impossible de se méprendre : d’immenses romans américains ont eu pour truchement Daniel Mauroc, traducteur. Se souvient-on, par exemple, de ces chaussures noires du bon faiseur, et réglementaires, appartenant aux agents du FBI qui ouvrent de leur présence noire un roman fameux ? Elles constituent l’inoubliable introduction aux aventures de Ken Kesey et de son Magic Bus, chanté plus tard par les Who, racontée par Tom Wolfe dans Acid Test… Le texte français de cette fameuse épopée beaknik parut au Seuil, en 1975, dans les mots de Daniel Mauroc et ses lecteurs s’en rappellent. Mais on lui doit aussi Ida de Gertrude Stein (Le Seuil, 1978), Retour à Brooklyn de Hubert Selby Jr. (Les Humanoïdes associés, 1980), Le Bûcher de Times Square de Robert Coover (Le Seuil, 1980), plusieurs bouquins de Jerome Charyn, Le Boulevard des trahisons de Thomas Sanchez (Le Seuil, 1989), sans oublier la stupéfiante Fosse aux chiens du Gallois John Cowper Powys (Le Seuil, 1976) et le puissant Crève ! de James Carr (Stock, 1978). Il n’y a assurément rien à ajouter à ce palmarès, sinon que notre témoin aurait atteint sa plénière notoriété, et très tôt, s’il avait consigné… mais trêve de rabâchage, sa bibliographie parle pour lui.
Eric Dussert
Bribes bibliographiques
Tam-tam blanc (Paris, Aimery Somogy, 1949), un ex. avec envoi :
“A Saint-John Perse, que le silence rapproche encore de notre tam-tam, un très admiratif souvenir de Daniel Mauroc / Paris. juillet 1951.”
Les Poutres, pièce en un acte crée au Théatre de la Huchette en 1954. Frontispice de G. Ladrey (Lyon, A. Henneuse - Les Ecrivains Réunis, 1954, 30 pp., Coll. “Disparate”).
Contre-amour, préface d’Albert Camus (Minuit, 1952).
Le Zouave du Pont de L’Alma (Two Cities Paris, 1961, 83pp.).
Sacher-Masoch, or the Orphian Christ Sophia (en collaboration avec Gwen Leen, 4 juin 1964, MaMa Experimental Theatre Club
July 16. New Voice in Poetry, a reading (avec John Hopper).
Le Village des évidents (Plasma, 1975).
Les Etreintes foules (Plasma, 1979).
Collectif, Les Paris imaginaires (Plasma, 1979).
Les Hommes-sandwichs (Paul Vermont, 1977).
Le Fait-Tout (Les Amis de Hors-Jeu éditions, 1995).
La Ressemblance, récits (Ressouvenances, 1997).
Voir aussi Anaïs Nin, “Introducing Daniel Mauroc” in Works, a quarterly of writing (été 1968).
1 De J.Peltier -
Bonjour.
Je tenais à signaler que Daniel Mauroc traduisit également une oeuvre du grand écrivain anglais John Cowper Powys, La Fosse aux Chiens, paru au Seuil en 1976.
C'est ainsi que le nom de Daniel Mauroc me parut familier lorsque je lus votre notice nécrologique.
Cordialement,
Jacqueline Peltier
2 De blezel -
Crève ! de James Carr à été publié par Champ Libre.
3 De OrnithOrynque -
Et moi Me Peltier votre nom me parut familier pour avoir lu la lettre que vous écrivîtes à Marc-Edouard Nabe, ce Powysien, et qu'il reproduit dans son Journal...
Daniel Mauroc, connais pas du tout, mais tout cela donne envie. Figure-t-il à l'index de l'Alambic? :)
Bien à vous.
4 De Eric Dussert -
Cette magnifique traduction d'un magnifique ouvrage était bel et bien mentionnée (juste à la fin...)
5 De Guy Darol -
C'est pour moi très émouvant la disparition de Daniel Mauroc. Car je suis renvoyé (mais souvent je suis renvoyé) trente-cinq ans dans le temps. Du côté de la rue des Ecoles. Je ne me souviens plus du nom de la librairie qui occupait l'angle de cette rue et celle de Cluny (avant Autrement Dit, n'est-ce pas ?) mais j'ai l'exacte vision du pilier qui présentait les revues du moment. Je fus attiré par deux publications : Crispur et Hautefeuille. Crispur était la revue de Bernard Raquin et je le rencontrerais bientôt pour lui proposer un entretien que j'avais fait avec Jean-Pierre Faye. Hautefeuille me plaisait. Le nom de Daniel Mauroc y figurait. C'est ainsi que je le connus. En ces temps contre-culturels et définitivement utopiens, Daniel Mauroc devait avoir mon âge, soit 18 ans. Du tout, j'apprends qu'il est né en 1926. Je dois dire que je découvrais à l'époque William Blake dont le propos était plus jeune que moi. Ainsi, Daniel Mauroc reste-t-il pour moi le très jeune revuiste de la rue des Ecoles. Je trouvais fort belle Hautefeuille. Je trouve fort beau Mauroc.
6 De Guy Darol -
J'ai dit Hautefeuille. N'était-ce pas plutôt Quintefeuille ?
7 De Poetry -
Poetry
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8 De Donald Goddard -
I knew Daniel for about two weeks during the summer of 1955 in Paris. I was there thanks to the generosity of my dear grandfather, who gave me $600, from his pension I think, to travel around Europe for a couple of months. Every evening in Paris, I would end up at the Cafe St-Germain-des-Pres, where I would sit drinking beer (to some derision) with Daniel and his friends, who drank wine and coffee. I don't remember what we talked about--life and art, no doubt--but I do remember laughing a lot, and Daniel's openness and curiosity. We stayed til about 4 or 5 in the morning, and then I would walk back across the Seine to my pension in the Place de la Republique and wake up the concierge to let me in, much to her annoyance. Then Daniel and I decided to hitchhike south, so we met on the road just after dawn and stuck out our thumbs. He said he would name his next novel "Le Pouce." Soon we were picked up and driven all the way to Macon, while I caught glimpses of the beautiful French countryside as I slept intermittently in the back seat and Daniel engaged the driver in conversation in the front seat. From there we went to Lyons and lugged our bags up an enormous hill, only to find that the person we were looking for, an admirer of Daniel's books, was not there. We stayed instead in the back room of a bar. The next day we went on to Avignon, had lunch, and then went our separate ways, me to Italy, Daniel back to Paris, I think. I never saw Daniel again, but I will remember him as long as I can.
9 De benoit -
je recherche d'apres donnees d'internet sur ce site hier, editeur seuil, avec decitre, du livre un amour infini, traducteur daniel maureauco jennyFER
10 De benoit -
daniel mauro, moroco, amidou, qu'est ce que t'a changé t'es vraiment sexy comme ça et ça me r'pose disè notre cher émile d'une groupie des diable
11 De jacmo -
Quintefeuille était le nom de la revue de Bernard de Kerillis et Victoire Flavigny dans les années 82-83, ça doit plutôt être Hautefeuille.
12 De ponjari -
Selon caveli.free.fr rubrique poéthèque, la revue Hautefeuille était dirigée en Janvier 1973 (n°6) par Marie-Paule Tuffery, adresse postale c/o Olivier Gillissen, 90 bd du Montparnasse à Paris. Je peux affiner la recherche si besoin est.
Odile Welfelé était directrice de publication de Quintefeuille entre 1980 & 1983.
13 De souvenirs -
Daniel est mort des suites de la maladie d’Alzheimer. Pas une semaine se passe sans que nous pensions à lui.
14 De PJB -
Bonjour,
Ai découvert par hasard ce titre supplémentaire alors je vous le signale : La suicide party (Amsterdam : N. Pers, 1955). Cf. http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/...
Très cordialement
15 De Pim Verhulst -
En 1953 Daniel Mauroc aidait Samuel Beckett avec la traduction français de son roman anglais "Watt". A la fin de 1954 le travail était terminé, incomplet, parce que Beckett était mécontent du résultat et pensait que "Watt" soit intraduisible. Tout naturellement, Mauroc était surpris en septembre 1968, quand il voyait dans la revue "Ephémère" un extrait de "Watt" en français traduit par Beckett et Ludovic Janvier. Ce traduction préalable de Mauroc m'intéresse beaucoup. Malheureusement, il est mort depuis 2007. Quelqu'un pourrait me dire où ses papiers sont conservés?
16 De Gelder -
Nous PAUL VERMONT lui devons tout, pour nos débuts dans l'édition. Se talents de choix littéraires, de correcteur, la rencontre avec J Cl. Hache , Raoul Vaneigem et son manuscrit "Histoire désinvolte du surréalisme", la correction de notre "Extorsionnaire" e sa contribution personnelle avec "Les Hommes sandwiches" et sa traduction d"Oscar Wilde inédit : "Véra, ou les Nihilistes". Le plaisir et l'amitié d'un homme comme peu - en cette période si faste pour l'édition (1976 1981). Merci à ce blog d'exister !