L'Alamblog

La confrérie maritime nous a fait le grand jeu : Stéphan Huynh-Tan, ex-officier radio de la marine marchande, désormais inscrit flâneur au registre de la terre ferme, nous a expédié le 31 août son nouveau livre, Dans la nuit du nord dans la nuit du sud. Le lendemain matin, c'est-à-dire hier, l'aéropostale nous livrait par hydravion l'opus, en parfait état, sur notre île.
Et c'est avec plaisir que nous plongeâmes dans les vers du marin-piéton, esthète apparemment décalé et cependant fort proche de ce qu'on nomme un parfait lecteur et, presque fantômatique parmi les hommes, un être vrai. Ainsi donc, ès-qualité littéraire, un authentique autonome. Sa course est secrète. Ainsi donc, ses poèmes n'appartiennent pas à la catégorie des produits occiputisés par les "reconnu-poète" à tampon légal de la poètosphère. Il y a donc fort à parier qu'on trouvera longtemps de quoi lire dans les soixantes pages de ce livre-ci. Il ne se préoccupe pas des airs qu'il faut prendre. Aux plus soupçonneux de nos lecteurs, cet indice, fragment du poème intitulé "Le marin fait son bilan et ne le dépose pas".

Se pétrifier dans sa bouteille quand on rêvait, trois-mâts
Fringant et agressif, de mettre sous sa coupe le bassin
Des Caraïbes, n'est pas plus méprisable qu'aligner
Des vers sans queue ni tête après avoir dix-huit ans
Fantasmé sur les hauts faits de Francis Drake et les îles
Perdues dans les mers du Sud, puisque, trois-mâts captif
dans son flacon, il y aura toujours un gamin solitaire
Qui vous tournera et vous retournera, (à quoi servent
Le beaupré, la brigantine ?) et, poète obscur,
Il y aura toujours un lecteur en embuscade
Pour dénicher de la poésie dans votre plaquette
(On en trouve bien chez Casimir Delavigne).

C'est chose faite, ici, sur notre île et nous voudrions pouvoir, si le temps nous en était imparti, citer quelques autres pages où l'assassinat semble si souvent considéré comme une issue au manque de sens de l'existence...

La mort n'a pas de confidences qu'un jeune homme
Soit capable de recevoir, surtout pas celle-ci :
Quelques pains de plastic bien agencés, plus d'épaves
Qui offensent la vue. Et que le dynamiteur y passe aussi,
Car si le médecin ne se fie à ses remèdes,
Nul ne suivra ses ordonnances.

C'est nihiliste mais c'est radical et justement raisonné, comme en souventes choses ce recueil en son entier.

Et si l'on vous donnait de la table, qui n'est autre que le Livre de Job des pédigations de l'auteur, une idée appétissante ? La voici :
Deux cartes postales de Saint-Savin
Deux cartes postales de l'Auvergne
Deux nocturnes
Ma contribution à la campagne anti-tabac
Office des morts, Saint-Germain-des-Près
Evian
Devant un paysage romain du XVIIIe siècle
Le Criminel
Circulation des idées
N'en parler jamais, y penser toujours
Idées noires au square du Vert-Galant
Le marin fait son bilan mais ne le dépose pas
La cartographique instructive et reposante
Relire Thucydide au calme
Procès du poète instruit par les vents du monde

Il y a de quoi, soeurs nautes, frères nautes, se sentir alléché. J'ajoute pour finir que la très belle couverture est signée Joël Lieck. Vous avez ici la première, vous n'imaginez pas la quatrième...


Stéphan HUYNH-TAN Dans la nuit du nord dans la nuit du sud. — Liancourt, Dumerchez, 2007, coll. "Double Hache", 63 p., 17 euros.