Rentrée littéraire 1863 : Salammbô, par Gustave Flaubert

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Salammbô
par Gustave Flaubert.
1863, chez Michel Levy frères :
Librairie nouvelle, 24 Boulevard des Italiens


Un événement vient de se produire dans le monde littéraire : Salammbô, la nouvelle oeuvre de Gustave Flaubert, a paru.
Ceux qui n’ont jamais lu les fragments publiés de la Tentation de saint Antoine seront fort surpris. Ceux-là, certes, — dont le nombre est grand — auront jugé d’une façon très incomplète Madame Bovary, ce livre unique (si peu compris !) où, du premier au dernier mot, l’auteur se gausse avec une impitoyable gravité de ses personnages, — à tel point que le public n’en a rien vu, et qu’il a tout simplement pensé avoir affaire au réaliste le plus convaincu de notre époque.
Seuls, sans doute, - malgré ce fameux chapître, presque parasite d’ailleurs, sur le comice agricole de Yonville-l’Abbaye, - ceux qui connaissaient le profond lyrisme et la raillerie puissante renfermés dans la Tentation auront possédé la clef de ce petit monde bourgeois où s’agitent le pharmacien Homais, Rodolphe, Léon le clerc de notaire, Charles Bovary, et cette héroïne, essentiellement moderne, la femme hystérique, cherchant fougueusement l’Idéal à travers toutes les grotesqueries de la province.
Et le sens interne de cette froide satire ne leur aura pas échappé.
Dans Salammbô, Gustave Flaubert évoqueune époque et des paysages disparus. En regard de ces affreux fantoches de la vie moderne, il était bon de montrer les hommes du monde antique non déprimés par les bandelettes du Progrès. Et ne vous méprenez pas cependant, les Carthaginois de Flaubert ne sont pas des abstractions, ce sont bien réellement des hommes. Salammbô est une oeuvre vivante, quoique toute pleine d’un fantastique étrange et farouche. On y aime, on y est passionné, on y souffre, on y respire enfin malgré ce grand style de marbre où le mot ne grimace jamais. Cette évocation est plus qu’une création, c’est une résurrection.
Sous le coup d’une lecture haletante, nous ne pouvons apprécier comme il convient une oeuvre qu’on peut dire monumentale.
Le succès ne sera d’abord assurément qu’un succès de curiosité, mais il deviendra un succès sérieux qui ne peut manquer de faire oublier à certains esprit prévenus, le tapage de Madame Bovary.
Un mot d’éloge avant de finir, à Michel Lévy, l’éditeur intelligent et consciencieux qui a mis son cachet sur la lettre de M. Flaubert au monde des lecteurs.

Autographie Paul Dupont, 47 rue de Grenelle St Honoré
Le Directeur Gérant : Dardenne de La Grangerie.




Article de Fortuné Calmels, le poète de Modernité (Alphonse Lemerre, 1879), issu du Boulevard (30 novembre 1862), repris sans nom d’auteur dans Correspondance générale des Journaux de Province et de l’Etranger (n° 542, 1er décembre 1862, p. 2).

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