La véritable identité de Jean Dayros, par Patrick Ramseyer

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Depuis 2002 et la publication de l’anonyme Mes Etats d’âme, ou les Sept Chrysalides de l’extase, fantasque ouvrage réédité après enquête par Christian Laucou et Stéphane Le Couëdic aux éditions Fornax, une double polémique enfla : d’abord à propos de l’attribution du dit opus (Fornax V collège de ‘patatras) ; ensuite au sujet de l’identité du désormais fameux Jean Dayros.
Eminent spécialiste de l’enquête biobibliographique, fouineur dont les talents ont servi et servent souvent à des nombreux spécialistes de l’histoire littéraire, Patrick Ramseyer, échauffé un peu - par une entorse à la saine méthodologie peut-être - donne ici le fin mot de cette histoire en livrant les pièces définitives du dossier Jean Dayros.
Les Sept Chrysalides cèdent donc le pas devant le Saint Suaire : elles ont livrées leur secret et les lecteurs de l’Alamblog ont la primeur de la révélation…




La Véritable identité de Jean Dayros
Suite de l’épisode précédent, en trois actes

Nous avons lu avec attention l’apparente mise au point donnée par Henri Bordillon dans L’Oeil bleu, sous le titre « Tombeau pour Jean Dayros » (1), et censée éclaircir/mettre un terme à la polémique qui, en l’an 2002, avait opposé le Collège de Pataphysique aux éditions Fornax (en la personne de Christian Laucou), à propos de la paternité – et de la réédition – de certaines Chrysalides de l’extase (2). Témoin aux premières loges de l’aventure, j’aimerais à mon tour faire une mise au point.
Il y a quelques années, Christian Laucou préparant la réédition de Mes états d’âme ou Les sept chrysalides de l’extase, m’avait demandé des renseignements sur un certain Jean Dayros, « inconnu au bataillon ». Après quelques recherches, je réussis à lui faire parvenir deux notices, à savoir : une notice tirée de l’ Anthologie littéraire des P.T.T. de 1934 (3), et la notice du dictionnaire bio-bibliographique intitulé 800 auteurs. Dix siècles d’écriture en Tarn-et-Garonne, publié en 1992 (4).

JEAN DAYROS
M. Jean Dayros, de son vrai nom Paul Colombié, né à Mazamet le 30 juin 1864, fut Président de l’Association des fonctionnaires de l’Admimistration centrale.
Jean Dayros fréquenta avec assiduité les milieux littéraires. Il y rencontra les grands poètes de l’époque : Paul Verlaine, Jean Moréas, Laurent Tailhade, P.-J. Toulet, A1fred Jarry, Jean de Tinan. Il collabora à La Plume, à l’Ermitage et au Courrier français. On le vit également aux soirées de La Plume, du Procope et du Chat noir. Ses poèmes parurent dans : La France nouvelle, La Petite République, La Lanterne, La Nation, L’Observateur français, etc.
Signalons pour terminer que M. Jean Dayros fut Secrétaire général de La Boîte aux Lettres, sous la présidence d’Albert Cim, Edouard Estaunié et Charles Saunier.

(Anthologie des poètes des P.T.T., p. 93.)



COLOMBIE Jean, Donatien (pseud DAYROS, Jean) (Montauban, 25.04.1865 - Paris, 01.1937)
Ce Montalbanais, rédacteur au ministère des Postes, collabore régulièrement à partir de 1892 à la revue créée par Edouard Forestié, Le Quercy. Il y publie des poésies et des fables, mais aussi des nouvelles (La Tentation, Brave père, Retour de marche, Impressions de vacances, Le Pardon, Rythmes d’automne…) et quelques critiques d’art, notamment sur le peintre Louis Cabanes. En 1897, parait Solitaires, un recueil de “… poèmes aux rythmes étranges et pleins de charme…”.
M.M.
Revue Le Quercy.

(800 auteurs. Dix siècles d’écriture en Tarn-et-Garonne, p. 92.)



J’y avais ajouté la date de décès dudit – 15 janvier 1937 –, renseignement tout bonnement fourni par la chronique de la Société des Gens de Lettres (avril 1937), mais je n’avais pas eu, à l’époque, le loisir d’apporter plus de précisions.
Bref, ces informations furent dûment reprises par Christian Laucou, donnant bien l’origine de l’information – contrairement au « réviseur » actuel –, à l’occasion de la réédition en plaquette qu’il fit, également en 2002, de sa Complainte de la vie en vert (5).

Précisons encore : si je constatais bien quelque divergence entre les deux sources, mon expérience et ma pratique des dictionnaires dits biographiques me conduisait à accorder plus de crédit aux informations données par l’auteur de l‘Anthologie des poètes des PTT, plutôt qu’ à la notice du second ouvrage. Je n’aurais aucun mal à citer d’autres exemples pour illustrer la désinvolure avec laquelle sont assez souvent rédigées les notices de ces dits dictionnaires…
Mon « intuition » semble avoir été la bonne ; les différentes pièces d’état-civil apportent aujourd’hui quelques certitudes.


Pièce n° 1 : Acte de naissance

L’an mil huit cent soixante-quatre et le premier juillet, à neuf heures du matin, par devant nous Auguste BRIEU, adjoint au maire et par délégation, officier de l’état civil de la commune de Mazamet, arrondissement de Castres, département du Tarn.
Est comparu Jean-Baptiste COLOMBIE, âgé de quarante ans, pareur, demeurant à Mazamet, Grand’rue, lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin, né hier à sept heures du soir, dans sa maison d’habitation, de lui déclarant et d’Izabelle JOLY, son épouse, âgée de trente-six ans, ménagère, demeurant avec lui, et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Paul Henry.
Présents et témoins les sieurs Louis AUSSEMAT, âgé de quarante-quatre ans, et Jacques DUFOS, âgé de trente-six ans, agents de police, domiciliés à Mazamet ; Lesquels ainsi que le déclarant ont signé avec nous le présent acte après lecture.



Pièce n° 2 : Acte de mariage

L’an mil huit cent quatre-vingt-dix-huit, ving-neuf octobre, à onze heures du matin : acte de mariage : Paul Henry COLOMBIE, rédacteur au ministère des Postes et Télégraphes, né à Mazamet (Tarn), le trente juin mil huit cent soixante quatre, domicilié à Paris, Place du Panthéon 9, fils majeur de Jean-Baptiste COLOMBIE, décédé, et de Izabelle JOLY, sa veuve, sans profession, demeurant à Montauban (Tarn-et-Garonne), consentant devant l’officier de l’état civil du dit-lieu, le huit de ce mois, d’une part ; et de Victoire Philomène GLORIEUX, tailleuse en robes, née à Escaudoeuvres (Nord), le vingt-quatre octobre mil huit cent soixante treize, domiciliée à Paris, rue Monge, 100, fille majeure de Usmar Alexandre Joseph GLORIEUX, rentier, demeurant à Cambrai (Nord), consentant devant Me CARON, notaire dudit lieu, le dix-neuf de ce mois, et de Maria MOLLET, son épouse, décédée, d’autre part – dressé par nous, Alexis Charles Albert PHILIPPON, adjoint au maire, officier de l’état civil du cinquième arrondissement de Paris, qui avons procédé publiquement, en la mairie, à la célébration du mariage , dans la forme suivante : Après avoir donné lecture aux parties de leurs actes de naissance, des actes de décès du père du futur et de la mère de la future, des consentements sus-dits, de l’acte des publications faites à cette mairie ; les seize et vingt-trois de ce mois sans opposition, toutes pièces paraphées et annexées ; du chapitre six, livre premier du Code civil, titre du mariage, sur les droits et les devoirs respectifs des époux ; après avoir interpellé les futurs époux, qui nous ont déclaré qu’il n’a pas été fait de contrat de mariage, nous leur avons demandé s’ils veulent se prendre pour mari et pour femme, chacun d’eux ayant répondu affirmativement et séparément, à haute voix, nous avons prononcé, au nom de la Loi, que Paul Henry COLOMBIE et Victoire Philomène GLORIEUX sont unis par le mariage. En présence de : Léon MAZET, vint-six ans, homme de lettres, officier d’Académie, Passage du Saumon, 4, Charles BARRAULT, âgé de vingt-quatre ans, docteur demeurant place Clichy, 4, Théobald Blaise CHARLY, âgé de vingt-sept ans, caricaturiste, rue Notre-Dame de Lorette, 14 ; et Paul MARIUS-ANDRE, âgé de vingt-six ans, publiciste, demeurant boulevard de Port-Royal, 66 ; témoins, non parents, qui ont signé avec les époux, et nous, après la lecture du présent acte de mariage.



Pièce n° 3 : Acte de décès

Le quinze janvier mil neuf cent trente-sept, vingt heures quinze, est décédé, Villa Saint-Jacques, 14, en son domicile, Paul Henry COLOMBIÉ, né à Mazamet (Tarn), le trente juin mil huit cent soixante-quatre, Rédacteur en chef au Ministère des Postes, Chevalier de la Légion d’Honneur, fils de Jean Baptiste COLOMBIÉ, et de Izabelle JOLY, époux décédés. Époux de Victoire Philomène GLORIEUX. Dressé le seize janvier courant, dix heures trente, sur la déclaration de Marcel ZAMMARETTI, trente-neuf ans, employé, rue Charles Divry, 16, qui, lecture faite, a signé avec nous, Gabriel de SAUNIERES adjoint au maire du 14è arrondissement de Paris.



Nous nous permettrons de signaler au passage une autre « fantaisie » de Monsieur Bordillon : la plaquette Les Solitaires (vers), bien indiquée comme orignellement publiée en 1898, mais, dit-il, « très probablement à compte d’auteur », parce que, argue-t-il, il n’y aurait pas eu « de dépôt légal »… Il est contredit par le fait qu’elle figure encore, curieusement, dans le Catalogue Général Albert Messein éditeur/Successeur de Léon Vanier, Paris, janvier 1914, p. 22, où l’on peut lire* (6) :

Dayros (Jean) – Les Solitaires (vers), imprimés sur papier d’emballage 3.50 (fr.)
Id., Édit. de luxe sur papier noir, tirage arg. …………………………….. 10 (fr.)


Signalons enfin que l’auteur du croquis donné en ouverture de l’article d’H. Bordillon, « T. Charly », que n’a pas réussi à identifier le Dico Solo, était témoin du mariage de Jean Dayros.

En cherchant aux sources, et aux bonnes sources, on finit toujours par trouver.
C.Q.F.D.


Patrick RAMSEYER



Notes
(1) « Tombeau pour Jean Dayros » par Henri Bordillon, L’Œil Bleu, n°4, octobre 2007, p. 29-39. (2) Mes états d’âme ou les sept chrysalides de l’extase, par le Vicomte Phoebus, Retoqué de Saint-Réac, Paris, Éditions Fornax, 2002, 252 p.
Viridis Candela, carnets n° 8, 15 juin 2002, « Chrysalides & vers à soy » par Barbara Pascarel, pp. 68-96 + tract inséré « Minute, Papillon ! », non signé.
(3) Anthologie des Poètes des P.T.T., sous le haut patronage de Georges Lecomte, Edouard Estaunié et Edmond Quenot, Paris, Bibliothèque de l’Association amicale des P.T.T., 1934, p. 93.
(4) 800 auteurs. Dix siècles d’écriture en Tarn-et-Garonne, sous la dir. de Marcel Maurières et Georges Passerat, Montauban ; B.C.P. & Association des amis de la B.C.P., 1992, p. 92.
(5) Jean Dayros, Complainte de la vie en vert, Paris, Éditions Fornax, coll. « Fornax vert », n° 4, 2002, non paginé (16 p.).
(6) Renseignement aimablement communiqué par Jean-Paul Morel, qui possède ledit catalogue de 38 pages.





Ajout du 29 décembre 2009 : Ils sont trop !

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