Le Mariage de Charles Monselet (Georges Bodereau)

Le Mariage de Charles Monselet


Je viens de relire une page savoureuse de « Les Femmes qui font des scènes », une oeuvre amusante, facile et vraie du bon Charles Monselet. Je l'ai relue avec un vif plaisir, et, la folle du logis se mettant aussitôt à battre la campagne, les souvenirs accourent.
La génération présente ne connaît guère Charles Monselet que par un de ces sonnets impromptus qu'il semait un peu partout, dans lequel le spirituel épicurien qu'il fut chanta le cochon :
... animal-Roi, cher ange !...
Mais j'ai, moi, connu sur la fin de ses jours le brillant, encore que superficiel auteur de tant d'ouvrages, au demeurant délicieux, dont plusieurs eussent pu être des chefs-d'oeuvre, si celui qui les écrivit de verve ne se fut laissé dévorer au jour le jour par ce que l'on appelait alors « le petit journalisme » : La Franc-Maçonnerie des Femmes, la Bibliothèque Galante, Rétif de la Bretonne, Oubliés et Dédaignés, sa meilleure oeuvre... Peut-être même, si j'eusse été majeur, eussé-je partagé avec Paul Arène le délicieux auteur de Jean-des-Figues et du Parnassiculet contemporain, et Auguste Marteroy, l'honneur d'être témoin à son mariage. Mais je suis né en 1861, tandis que Charles Monselet naquit à Nantes en 1825, et dûs me contenter d'être spectateur ému.
Ah ! ce mariage ! C'est une des fleurs encore parfumées de l'herbier de ma prime jeunesse.
Le bon Monselet, vieilli, plutôt besogneux, pressentait sa mort. Il vivait, depuis nombre de lustres, avec une vieille compagne dévouée un peu plus jeune que lui, encore qu'elle apparut fort vétuste à mon avant printemps. Cette excellente personne répondait au prénom abrégé de Phémie. Sans doute avait-elle un autre patronyme. Mais si je l'ai jamais su, je l'ai totalement oublié, ne l'ayant entendu prononcer qu'une fois par l'officier de l'état civil. Il n'ajouterait, d'ailleurs, rien à l'intérêt de ce récit.
Monselet et sa compagne vivaient plutôt chichement là-haut sur les pentes de Montmartre. Recherché pour son esprit, Monselet n'avait point accoutumé de produire Phémie dans le monde. Toutefois nous la connaissions et l'estimions, car c'était une humible créature, affectueuse, modeste et charmante en sa simplicité.
Un matin, son ami lui dit :
— Phémie, aujourd'hui il faut te faire belle...
— Vrai, Charles ?
— Très belle. Nous allons à un mariage...
— Qui donc se marie ?
— Tu le sauras à la Mairie. C'est une surprise.
Phémie, obéissante, se fit donc belle. Elle portait ce jour-là un châle français, une robe simple presque neuve et avait, sous une capote à la mode de nos mères et de nos aïeules, soigneusemieint lissé ses bandeaux gris. Bras dessus, bras dessous, le couple se 1 rendit à la Mairie. Monselet avait arboré, lui, son haut-de-forme, sa redingote des fins repas et un gilet blanc repassé par sa compagne.
— Mais qui donc se marie, Charles, tu peux bien me le dire ?
— Chut ! C'est un secret !
Le secret fut révélé seulement devant Monsieur le Maire. Celui et celle qui se mariaient : c'étaient Phémie et son Charles. Son Charles qui, sentant ses forces décliner, s'était dit que ses amis, lui disparu, n'oublieraient pas Phémie, veuve de Monselet.
Cet épicurien était un digne coeur.
Et je ne sais rien de si touchant que le mot qu'eut, après les « oui » sacramentels, la vieille compagne, disant à son ami :
— Tu es bien gentil, mon Charles ! d'avoir pensé à çà ; mais, après si longtemps, était-ce bien la peine ?
Paul Arène, Marteroy, les deux autres témoins et moi, qui savions, avions des larmes aux yeux, et le nouvel époux un bon sourire à peine attristé.
Nous déjeunâmes aux « Vendanges de Bourgogne ».
Charles Monselet mourut quelques mois après et Phémie ne lui survécut guère.

Georges Bodereau

La Gerbe, n° 27, décembre 1920, pp. 72-74

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