La censure de guerre (bois vert)

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L’accord est si grand d’abord que les journaux se soumettent de bonne grâce à la censure comme aux mesures de police qui ordonnent de ne pas les crier dans la rue, de ne pas les gratifier de manchettes énormes, de ne pas multiplier les éditions spéciales, toutes choses qui sont de nature à surexciter la population. Toute la presse a compris qu’il ne faut pas laisser passer à l’étourdie des renseignements militaires qui pourraient être utiles à l’ennemi qu’il importe de surveiller même les annonces, qui peuvent répandre en langage conventionnel des nouvelles transmises par des espions restés à l’intérieur. c’est ainsi que le général Dubail, commandant la place de Paris, interdisait, le 11 juin 1917, tout envoi à l’étranger de périodiques contenant des annonces de publicité.
La censure s’établit donc sans encombre et sans résistance. Le bureau dit « de la presse » était installé au Ministère de la Guerre. Chaque journal devait y apporter ses épreuves, ses morasses, comme on dit en termes techniques, les censeurs indiquaient ce qui devait être « échoppé » ; un coup de téléphone à l’imprimerie et le journal paraissait amputé de tout ce qui avait semblé dangereux. En province, l’opération chirurgicale se faisait à la préfecture ou au siège du commandement militaire.

La censure rendit quelques services. L’intervention gouvernementale ne fut pas d’ailleurs purement négative. Elle renseigna par ses communiqués attendus avec fièvre elle combattit les mensonges hardis de l’agence Wolf qui, de Berlin, annonçait la prise de Belfort, l’assassinat de M. Poincaré, Paris mis à feu et à sang par la révolution. Elle publia des documents officiels sur les atrocités allemandes. Elle fit paraître une série de brochures sur L’Effort Français. Aidée par des sociétés privées (L’Alliance Française, les Amitiés françaises, l’Idée française à l’étranger), elle travailla à maintenir fermes l’espoir et le courage de la France. Il y eut alors une Maison de la Presse, chargée de diriger les esprits dans le sens voulu par le gouvernement. On a pu l’accuser (l’expression date de cette époque) de « bourrage de crânes ». Mais ce qu’il faut regretter surtout, c’est que son influence ait été maigre hors de France, là où il eût été le plus nécessaire de détruire les erreurs et les calomnies accumulées contre nous. Seulement il existait un cercle vicieux on voulait faire de la propagande à l’étranger et l’on interdisait à nos journaux et revues de franchir la frontière c’est par des conférences, des missions envoyées chez nos voisins que fut remplacée, mais de façon insuffisante, l’action de nos périodiques.

Pour ne parler que de l’intérieur, le malheur est que, par une pente rapide, presque fatale, la censure, de militaire qu’elle devait être, devint très vite politique qu’au lieu de s’inspirer uniquement des intérêts de la patrie, elle dégénéra en moyen de défense pour les ministres qui se trouvaient au pouvoir. Puis, autre malheur, pour exercer avec compétence et impartialité les fonctions de censeur, il aurait fallu des hommes de première valeur, presque des surhommes et l’on n’eut le plus souvent que des hommes de valeur médiocre (1) : officiers qui apportaient là des habitudes disciplinaires peu faites pour des intellectuels, ou bien « fils à papa », heureux de s’embusquer dans des postes de tout repos. Quelques-uns étaient des blessés ou des malades renvoyés du front les autres, qui ont allégué pour leur défense qu’ils avaient pu là empêcher quelque mal, furent sévèrement tancés par les corps dont ils faisaient partie. Le Conseil de l’Ordre des avocats fut saisi de la question de savoir si un membre de l’Ordre pouvait remplir une fonction qui consiste à couper les ailes de la pensée ; un Syndicat de la Presse française refusa d’admettre ceux qui l’avaient acceptée et obligea même un de ses membres à démissioner pour s’être plié à cette besogne.



Note de l’auteur
1 Parmi les censeurs, on rencontre des hommes portant des noms connus: Georges Hugo, André Fallières, Victor Margueritte, des gens de lettres : Armand Charpentier, Gaston Rageot, Jean de Gourmont, Paul Gsell, André Lichtenberger ; des journalistes : Bonnamour, Albin, Paul de Cassagnac, Francis de Miomandre ; des professeurs, des sous-préfets, des avocats, des auteurs dramatiques, des éditeurs (Didier, Arnaud), un garde-champêtre, un curé, un commandant de gendarmerie. - La Vie de Paris par Jean-Bernard, donne cette liste.




Georges Renard Les Travailleurs du Livre et du Journal. T. II. - Paris, G. Douin, 1926, pp. 63-65.

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