La mort la Littérature (début XXIe siècle)

Tombeau.jpg Tombeau du roi Sakalava Babay



L’ambiance est si délétère, le sentiment de frustration si général que l’on voit fleurir partout des réflexions sur la mort de l’art, de la littérature, de la créativité - on ne prononce surtout plus le mot “décadence”, ça fait réac. Nous profitons de la mise en ligne de la 5e livraison d’LHT, revue universitaire en ligne, consacrée à la fin de la littérature pour en remettre une louche.
L’ensemble de la livraison est particulièrement intéressant. Depuis les trois textes historiques de Jacques Rivière (“La crise du concept de littérature”, 1924), Raymond Dumay (“Mort de la littérature”, 1950) et Jacques Etienne Ehrmann (“La mort de la littérature”, 1971) jusqu’à l’entretien avec Dominique Viart.

Sommaire
Alexandre Gefen : Ma fin est mon commencement : les discours critiques sur la fin de la littérature
Guillaume Artous-Bouvet : Versions d’un tombeau
Olivier Bessard-Banquy : Du déclin des lettres aujourd’hui
Stéphane Chaudier et Julian Négrel : Le Stabat Mater de Régis Jauffret : quel tombeau pour quelle littérature ?
Alexandru Matei : La perplexité devant la littérature
Mathilde Morantin : « Usages du roman pour une littérature usagée » : l’instrumentalisation du roman au service de la fin de la Littérature
Timothée Picard : La mélomanie porte-t-elle les écrivains à la « déclinologie » (et vice-versa) ?
Kôjin Karatani La fin de la littérature moderne
Dominique Viart Résistances de la Littérature contemporaine (entretien)
Enrique Vila-Matas : Les Dés des os des morts (fragments)

Notons encore ce fragment d’une synthèse assez juste d’Olivier Bessard-Banquy :

“il entre souvent, dans le discours des déclinologues, des arrière-pensées stratégiques (mieux vaut dénigrer ce qui existe si l’on veut valoriser sans le dire sa propre production). On peut surtout noter que cette vision noire de l’écrit s’explique par un amour pulsionnel de la littérature et une souffrance bien compréhensible devant le peu de cas que le monde contemporain en fait. Dans le discours alarmiste des prophètes du malheur, il faut voir en creux l’extraordinaire puissance des lettres pour ceux qui s’en nourrissent comme la difficulté de vivre dans une démocratie qui n’est pas plus active pour convaincre le plus grand nombre de la richesse ou de la splendeur des grands textes. Le discours sur le déclin des lettres est donc un discours sur le sens de la littérature dans la démocratie contemporaine. Aucun de ces sombres analystes ne part de l’idée que la démocratie en soi mène à l’extinction des humanités. Mais tous constatent dans les faits que la marchandisation de la culture débouche sur une quête délétère du marché de masse à l’évidence incompatible avec les visées élitistes de la littérature de création. Tous se rejoignent pour reconnaître à la littérature le pouvoir qui est le sien, permettre à celui qui s’en nourrit de se construire sa vision du monde, de s’humaniser en se plongeant dans des récits qui permettent de mieux saisir comment sont, comment pensent et comment vivent les autres. Mais tous constatent aussi que ce souci de s’humaniser, de s’approfondir, a été liquidé avec le culte de la performance de la société libérale. C’est finalement au cœur de ce triste constat que l’on doit voir une lueur d’espoir : puisque la littérature est la meilleure voie d’accès à un humanisme véritable, il ne fait pas de doute que tous les désenchantés du monde moderne et de la société marchande y verront longtemps le seul refuge possible pour lutter contre les sordides appels à consommer plus et penser moins en attendant la mort”


Voilà pourquoi nous nous permettons d’ajouter cette question, en attendant la camarde : Enrique Vila-Matas, malgré son aura de co-néo-Borges (partagée avec Alberto Manguel), n’est-il pas justement celui qui illustre le mieux la lassitude ? Que peut donc nous dire sa lente, ennuyeuse quoique roborative digestion de toute fiction ?
Alberto Manguel ou Vila-Matas et leurs séides (des exemples ?) n’incarnent-ils pas le paradoxe céciteux d’une époque de hauts cris néanmoins vouée aux Maxime Chattam, aux Fred Vargas, aux Marc Lévy ? Ils sont les plus vertueux, les plus cultivés, les plus livresques des écrivains du moment, les plus doués peut-être ou pas, mais ils semblent n’avoir qu’un rôle, ces vertueux : justifier le reste du bazar.

Petite piste en forme de note additionnelle
Le journal de l’interprofession des professionnels de la profession signale ceci : aux Etats-Unis (puisque tout ce qui prime doit être validé par l’expérience américaine), un mouvement se décèle qui prend de l’ampleur en France également depuis plusieurs années (sans que le journal susdit n’en parle bien fort) : l’autoédition. Le vilain mot… En 2008, l’autoédition américaine a produit plus que les maisons d’édition installées…
Ainsi, voici rassérénés les esprits exotiques éclairés (EEE), c’est-à-dire les esthètes à fort niveau d’indépendance - on regarde du côté des primates à paluches, par exemple - qui étaient déjà bien convaincus que la médiation des réseaux éditoriaux commerciaux ne sont plus une garantie, ni de qualité, ni d’intérêt, ni de pérennité. En somme, ce mouvement reposant sur l’autodétermination et sur un rejet net du toutégaletoutisme régnant, ainsi que des diktats d’une critique paumée, veule ou compromise avec la communication télochique et ses nervis (un exemple ?) va modifier la donne.
Alors, évidemment, pour faire le tri dans le monceau d’ouvrages joyeusement issus de zones de production incontrôlées, il faut et il faudra de l’audace, du nez, du savoir, de la sensibilité : où le Lautréamont du jour ? où le talent ?
C’est précisément là qu’on commence à rigoler.
Or le rire est le propre des vivants.
CQFD.

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