Le Sang du ciel (Piotr Rawicz)

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On a beau habiter sur une île, la pile reste le mode de stockage le plus souple du livre, tous formats confondus. Aussi, il n'est pas inexplicable que ''Le Sang du ciel'’ du Polonais Piotr Rawicz (1919-1982) soit resté encalminé plus que de raison. Mais le récit lui-même, assez peu synthétisable, a sans doute joué aussi dans la difficulté du chroniqueur à se saisir de l'objet pour tenter de le ramener à une image compréhensible satisfaisante.

Comme Piotrus (L. Lipski, L'Arbre Vengeur éd.), Le Sang du ciel appartient à la catégorie des livres totalement à part, ne répondant à aucun critère de ce que l'on peut nommer la littérature cultivée, bourgeoise ou lettrée, comme on voudra. Hors traditions, plein de beautés fusantes, déchirant et à part, fort comme un piment psychédélique, c'est un livre d'urgence, rythmé à la diable, rédigé dans une confusion sanguine dont le manuscrit tremblant d'angoisse semble avoir été lacéré au sécateur de la peur et de l'horreur.

Ukrainien exilé en Pologne, puis en France, Rawicz évoque dans son livre dépeigné la guerre, les Nazis et leurs exécutions sommaires, les otages, les populations éperdues raflées au hasard, les édiles embarrassés par le compromis (en sauver quelques-uns contre tous les autres)

Dans l'enceinte sacrée de l'hôpital, les malades exerçaient consciencieusement leur métier de malades. Les médecins restaient médecins. Qui d'autre, sauf les mendiants professionnels et les croque-morts, pouvait en dire autant ?
A l'aide de leur dé à coudre, les médecins essayaient de vider l'impossible océan de la souffrance, et plusieurs d'entre eux vivaient plus authentiquement, plus pleinement que jamais.



Hirsute en diable, Le Sang du ciel n'a rien du fruit d'un atelier d'écriture à l'américaine : c'est du brutal. Les songes-creux s'y déchirent aux barbelés de la réalité, les coups sont portés, les armes parlent tandis que les délires enflent et que les cadavres s'empilent. Chez Rawicz, il n'est pas une page sans surprise, un monologue sans considération curieuse, une vérité sans faux-fuyant. Il intègre ainsi le "récit sinueux" de Boris, sorte de dandy couvert de femmes et les pages d'un poète aux considérations pleine de malaise.

Les guillemets sont ici répugnants, certes, comme ils le sont partout, mais l'honnêteté défende de s'en passer. Les guillemets — cette anti-prière... N'est-ce d'ailleurs pas un signe universel, un phénomène cosmique, que les guillemets ? Imaginer l'univers sans guillemets, sans possibilité du recours aux guillemets — quelle cruauté !



Parce qu'il est unique et dépeignée, parce qu'il est écrit par un survivant bizarre, Le Sang du ciel pèse double. Si les hommes peuvent "se transformer en égout", ce roman — mais est-ce un roman ? — dit l'humanité sans fard. Ça n'est pas toujours joli.%%

Mourir me paraissait doux et facile. Et la mort m'a fait le coup féminin classique : Comme je ne la fuyais pas, elle m'a tourné le dos.




Un vrai livre de vendredi 13...


Piotr Rawicz ''Le Sang du ciel’’. — Chanteloup-les-Vignes, Suicide Season/2e édition, 2011, 279 pages, 18 €

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