Criminopolis et le papier

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Il se fait à l'île des Pins une énorme consommation d'encre, de plumes et de papier, car les récidivistes sont à la fois réclameurs et scribomanes : correspondances d'autant plus curieuses que beaucoup de ces gens-là possèdent, phénomène médiocrement flatteur pour les classes dirigeantes, une instruction supérieure.

Dans le bureau d'un magasinier, j'ai vu un docteur es lettres de la Faculté de Paris copiant la prose sans orthographe ni grammaire de ce brave agent. Tels les premiers érudits transcrivant les actes des premiers apôtres. Ses yeux boursouflés et son nez rouge expliquaient tout. On m'assura que son casier judiciaire était chargé de trente condamnations pour vagabondage et mendicité. A peine débarqué, il s'empressa d'envoyer une pièce de vers laudative à un très haut fonctionnaire de. la colonie, lequel très haut fonctionnaire, charmé que sous son règne on crût à la justice et fort satisfait d'être célébré dans la langue des dieux par un docteur, répondit en lui obtenant un emploi chez un des principaux commerçants de Nouméa. Le premier jour, le docteur se grisa abominablement et en fit de même les jours suivants, si bien qu'on le remit à la disposition du haut fonctionnaire. Ce dernier voulait renouveler l'expérience, mais le docteur lui-même l'en détourna : « Je suis incapable, lui dit-il, de me conduire dans la vie et je demande à retourner dans le bureau du magasinier ; il ne sait pas bien sa langue, mais il m'empêche de me griser et d'aller en prison. Qu'on me rende mes chaînes ! »
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Paul Mimande (pseud. de Paul-Marie-Armand Beuverand de La Loyère) Criminopolis. Préface de Léon de Tinseau. - Paris, Calmann Lévy, 1897.

Une occasion de lire l'essai magistral de Stephen Toth présenté ici par l'Alamblog au moment de sa parution, l'automne dernier.

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