La Gelée, de Vladimir Korolenko

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Depuis une paire de lustres, on nous a beaucoup amusé avec le "roman-monde", la "littérature-monde" et autres billevesées planisphériques gonflées à l'hélium de la vacuité. Et tandis qu'on nous fomentait en outre des essais sur le "roman total" ou la "république des lettres" (supranationale, et même européenne, comme on devine), personne ne songeait à aller voir ce que Vladimir Korolenko (1853-1921) avait un jour écrit. C'était ballot (1).

Au vrai, un tel grand homme, un auteur de cette encre, ça ne devrait pas se négliger.
Aurait-on, chez nous, fait une aussi mauvaise part à Zola ? Même si on a tendance à négliger ce dernier depuis quelques années, il s'en faut qu'il passe aux oubliettes. Alors, pour dire les choses rapidement, Vladimir Korolenko est un peu le Zola russe. Il n'a certes pas défendu le capitaine Dreyfus, mais il a défendu par voix de presse des communautés en butte au racisme le plus violent durant les pogroms de 1895 ou encore lors du procès de Beilis au cours duquel des Voltiaks de Multans comparaissaient pour de prétendus sacrifices humains... La campagne russe était encore profonde durant la seconde moitié du XIXe siècle.

Mentor de Maxime Gorki, Vladimir Korolenko fut l'un des très grands écrivains russes. Après des années d'opposition au régime autocratique du tsar qui lui valut la relégation en terres froides, Korolenko devint le directeur de l’influente revue La Richesse russe (Русское богатство/Russkoye Bogtskvo) à partir de 1896, où il se consacra de nouveau aux autres. Au point que Gorki l’appelait la « conscience de la Russie » après la mort de Tolstoï, tandis qu'il était « l’âme de la littérature russe » pour Rosa Luxembourg (L’Art russe, février 1922).

Pour la critique française, il était « le plus résigné des auteurs russes contemporains » (Revue universelle, 1903). Et pour cause : arrêté une nouvelle fois en 1879 sur dénonciation, il subit l'exil en Sibérie dans le gouvernement de Viatka, à trois cents kilomètres de Iakoustk, une des régions les plus froides du globe dont La Gelée dit l’âpreté léthale.



« La couleur blanche, c’est la couleur de la neige glacée ; c’est aussi la couleur des nuages les plus élevés qui planent dans le froid inaccessible des hauteurs célestes ; c’est la couleur des cimes des montagnes, cimes majestueuses mais infertiles… C’est l’emblème de l’impassibilité, de la haute sainteté, l’emblème de la future vie immatérielle… » (Le Musicien aveugle)




Vladimir Korolenko La Gelée. Préface du Préfet maritime. - Vichy, La Brèche, 2012, 6,90 €




(1) C'était ballot mais c'était utile puisque cela permettait de caser la production littéraire en cours (ce flot) sous des allures modernes : maquillez un bon vieux roman à la papa, déclarez-le insoumis et roman-monde et hop, le tour est joué, les mièvres accourent et déblatèrent. Vous pouvez aussi la jouer philosophe à la mie de pain comme c'est la dernière tendance. Toutes les postures tiennent un temps.




Bibliographie lacunaire en français de Vladimir Korolenko

Les Drames de la Sibérie (H. Geffroy, 1894)
Le Songe de Makar. Traduit par Denis Roche (1894)
Le Rêve de Makar. Traduit par Léon Golschmann (Ollendorff, circa 1894)
La Forêt murmure, contes d'Ukraine et de Sibérie. Traduit par R. Candiani (A. Colin, 1894)
Le Musicien aveugle. Traduit par Léon Golschmann et Ernest Jaubert (Rouam, 1894 ; Firmin-Didot, 1894 ; Perrin, 1895 ; Gedalge, 1949 ; Circé, 1992)
« La maison n° 13 » (Cahiers de la Quinzaine, VI, 6, 1905)
« La peine capitale » in collectif, Au pied de l’échafaud. Traduit par J.-W Bienstock et A. Skarvan (Mercure de France, 1911) (contient une lettre-préface de Tolstoï à Korolenko).
La Gelée. En mauvaise compagnie. Le Rêve de Makar (J. Povolozky, 1922)
Le Musicien aveugle. I. L'Enfance de Pierre. II. La Vocation de Pie (L’Ecole émancipée, 1928)
Souvenirs d'enfance. Traduits par Gaston Baudoin (L’Ecole émancipée, 1928)
Le Musicien aveugle. Traduit du russe par Zinovy Lvovsky (Librairie Valois, 1931)
Le Songe de Makar. Avec une introduction et des notes par Pierre Pascal (C. Klinckcsieck, 1947)
Les Cochers de Sa Majesté, nouvelles suivies de Six lettres à Lounatcharski, traduit par Edouard Beaux (Albin Michel, 1990)
Préface au Voyage de trois cosaques de l'Oural au royaume des Eaux-Blanches de G. T. Khokhlov. Traduit par Michel Niqueux (L’Inventaire, 1996)
Les Muets, traduit par Chantal Le Brun Keris. Postface d’Olga Dounaevskaïa (L'Esprit des Péninsules, 1999)
Le Songe de Makar. Gravures de Paul Kichilov. (Alternatives, 2002)

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