Albert Cossery 1953

EgyptianReggae.jpg




(...)

Je n'aborderai pas Albert Cossery avec ces mots d'André Chédid sur les style. Il rirait sans doute :
— La sagesse est en Égypte.
— Et la folie à Paris ?
— Eh bien, je mène une vie de fou, oui, je ne fais qu'écrire et traîner dans mon quartier, comme un touriste perpétuel. De même que les Américains, qui n'ont pas de politique de rechange, je n'ai pas de ville de rechange. J'obéis au hasard. N'est-ce pas un hasard si mes parents, qui ne parlaient l'arabe, m'ont mis, à quatre ans, au lycée français ? A quinze ans, je chipais les Gide et les Valéry de mes frères... Aujourd'hui, je chipe Paris.
— Vous ne songez pas à écrire un roman qui se passerait en France ?
— Non. Mes dialogues, je les dis en arabe et les traduis au fur et à mesure en français.
— Et vous titres somptueux , "Les Fainéants dans la vallée fertile", "Les Hommes oubliés de Dieu"... ?
—Ils montent en moi de l'abare. Seulement, ma matière est confuse, il me faut des insultes pour aiguiser mes récits, il faut que mes gens parlent avec leurs mains. Comment dire tout cela en beau français ? J'ai beaucoup de peine... Il faut qu'on me lise comme on lirait de l'arabe traduit.
— Mais, à tous vivre à Saint-Germain-des-Près, votre "réservoir", si j'ose dire, de souvenirs arabes...
— Va s'épuiser ? Je suis plein de l’Égypte. Je conçois la vie à l'égyptienne. Il y a une chaleur humaine, un optimisme, en Égypte, dont vous n'avez pas idée. On rit de la pire misère. La dignité dans le dérisoire : c'est le thème du romain que je viens d'écrire... Remarquez, j'adore écouter les femmes françaises expliquer leurs âmes compliquées. Elles s'expliquent bien. En Egypte, les femmes sont. Les vôtres, on leur donne tous les prix littéraires ! C'est dangereux...
(...)

Propos recueillis par François-Régis Bastide




Les Nouvelles littéraires, 26 avril 1953, p. 5

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Haut de page