Le Livre de Quinze grammes augmenté (Jean Arbousset)

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De Jean Arbousset, voici ce que disent les archives froides, poussiéreuses, sans émotion :
« Jean Roger Bernard Arbousset, né le 7 mai 1895 à Béziers (Hérault) trouva lui la mort ainsi que le déclare les archives « le 9 juin 1918, tué à l’ennemi à Cuvilly (Oise), Sous-lieutenant, 4e Régiment du génie, Compagnie 8/63 – venu du 1er Régiment du génie –, Matricule n° 25.141, classe 1915, n° 3.421 au recrutement de Marseille (Acte transcrit à Marseille (Bouches-du-Rhône), le 19 mai 1919, n° 6.859/9). »
Ce que ne disent pas les archives, c’est ce que fut Jean Arbousset, ludion plongé dans la boue des tranchées de la Grande Guerre, bon compagnon et poète qui n’eut guère le temps de laisser pommer son œuvre, fauché qu’il fut d’une balle en plein front après avoir fait imprimer à Paris quelques exemplaires d’un recueil de poèmes du front, Le Livre de Quinze grammes, caporal (G. Crès et Cie, 1917).
Travaillant d’abord bénévolement à la préfecture de Marseille désorganisée par les incorporations de 1914, il prend part aux batailles d’Argonne, de Champagne, de la Somme, de l’Aisne et de Lorraine. On peine à croire qu’un seul destin puisse conduire à la fréquentation de tant de zones de combat… Pourtant, Jean Arbousset est plein d’allant et d’un naturel gai, il est la béquille morale de ses camarades, publie son journal de tranchée (tout à fait disparu lui aussi), Le Percot de Quinze grammes — dans l’argot des Poilus, le « perco » est une information fantaisiste —, il est l’humoriste brave et léger qu’on surnomme « Quinze grammes » parce qu’il n’est pas épais :

Ce sont les Poilus de l’Argonne
qui viennent de me baptiser.
J’aime mon surnom, car il sonne.
Ce sont les poilus de l’Argonne,
et je les veux récompenser
en les chantant, ô ma patronne. (…) »


Il prend du galon et devient caporal, puis aspirant et sous-lieutenant après avoir suivi les cours de l’école de guerre et lorsque la camarde le saisit, c’est en brave qu’il affronte l’ennemi ; il est cité à plusieurs reprises.
On ne retrouvera sans doute jamais le recueil de poèmes d’amour que Jean Arbousset avait confié à un éditeur — lequel n’en fit jamais rien — par l’entremise de Paul Géraldy, non plus que le roman qu’il écrivait au front sur les feuilles d’un vieux plan-directeur ou ses derniers poèmes éparpillés dans la boue. C’est une frustration car on a pu déjà juger des talents particuliers de ce jeune homme de lettres avec l’« Envoi du front » qu’il confiait au Souvenir, la « revue du front » de Jean des Vignes Rouges ou au tout nouveau Crapouillot de Jean Galtier-Boissière. Les avis étaient unanimes : Jean Arbousset était un poète gracieux, parfois féroce. Son unique sujet fut donc la guerre — que saurons-nous jamais de ses amours ?
Le Livre de ‘Quinze grammes’, caporal (Crès, 1917), soixante-et-onze pages au modeste format in-16 est donc son unique recueil, et un vrai petit chef-d’œuvre de grâce mêlée d’humour acide et d’une noire gravité. Starlette capricieuse, la mort est omniprésente depuis « La danse macabre » jusqu’au « Cheval mort », cette vieille carne, pierre de touche de la poésie funèbre française – pour aboutir au grand bowling des têtes arrachées gisant sur le champ de boue.
Le rouge est mis, la mort rôde car comme chez L’Homme bleu d'Edouard Guerber, elle est l’amante de tous et la maîtresse de chacun, ainsi qu’Arbousset l’écrit à Craonne en 1917 dans le « boyau des Mille Jours » :

Je suis la tresse blanche aux langueurs maladives
Qui vient s’entendre mollement
Entre les trous d’obus, mes multiples amants




Jean Arbousset Le Livre de Quinze grammes, caporal. Édition augmentée d'inédits et présentée par le Préfet maritime, avec une bibliographie. - Bussy-le-Repos, Obsidiane, 11 novembre 2013, 72 p., 12 €

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