Lettres de Matsue

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L'enthousiasme de Lafcadio Hearn (1850-1904) découvrant le Japon est une chose dont on ne se lasse pas. Rédigées lorsqu'il se vit confier son premier poste de professeur à Matsue dans les années 1890, ses lettres charmées avaient paru une première dans la Revue des Mondes en 1924 (puis en volume au Mercure de France, 1928). Elles reparaissent accompagnées de quelques missives inédites qui, toutes, donneront envie de pousser plus loin la découverte de son œuvre singulière.
On a dit qu'il était la singulière passerelle de l'Orient vers l'Occident parce qu'il s'était imprégné, impliqué, enfoncé dans les us nippons, notamment par son mariage. Il y a en effet quelque chose du but longtemps désiré dans la renaissance nippone du journaliste Hearn dont les premiers années avaient été plus que difficiles (abandon, perte d'un oeil, etc.) et l'âge d'homme passablement laborieux (il nous manque d'ailleurs toujours un volume de ses premiers articles américains...).

A Matsue, il y a un petit journal dont je vous enverrai un exemplaire à titre de curiosité. Tous les huit ou quinze jours, il contient un article sur moi. Car chaque acte de "l'étranger" est sujet à commentaires. Au Japon, vivre dans la retraite est impossible. Il n'y a pas de secrets. Les moindres faits et gestes de chacun sont connus de tous, et la vie est d'une franchise extrême, stupéfiante. A mon avis, l'effet moral est excellent, quoi qu'en disent les missionnaires. Songez donc qu'un simple écran de papier, dans lequel on peut percer des trous - ce qui n'est pas considéré du tout comme outrageant, à moins que l'écran ne soit orné de peintures célèbres -, sépare votre vie journalière de celles qui vous entourent ! Telle est, ici, la manière de vivre ordinaire. J'ai, quant à moi, une maison retirée, en entourée de trois jardins. Mais d'ailleurs, je ne dois jamais fermer la porte ni m'enfermer à clef, sauf la nuit.
Ici, il ne faut être ni nerveux, ni impatient (on ne saurait être ni l'un ni l'autre dans une atmosphère pareille), il ne faut ni céder à la mauvaise humeur, ni dissimuler quoi qu e ce soit. Vous savez que je dois donner des conférences et prononcer des "speeches" avec l'aide d'un interprète, lesquels conférences et speeches seront imprimés dans un magazine japonais. Eh bien, c'est délicieux de parler devant un auditoire japonais. un seul regard sur tous ces visages placides et souriants rassure immédiatement l'âme la plus timorée.


Fixé au Japon en 1890, Lafcadio Hearn ancre désormais toute son œuvre dans son pays d'adoption où, jusqu'à sa mort en 1904, il produit contes et romans dessinant les contours de l'âme des insulaires encore ébahis par l'étranger, et inconscients des risques que court leur mode de vie courtoise, raffinée voire héroïque face à cette saleté de "progrès" occidental. A l'instar d'un Bartok du Soleil levant, il récolta le folklore nippon qu'il mixa à ses propres observations avec un doigté et une finesse remarquable. Reste que la finesse de ses observations et son sens littéraire (Some Chinese Ghosts, 1887, Les Fantômes chinois, 1913, etc.) devraient faire pousser comme champignons les rééditions des traductions françaises de ses ouvrages (éditeurs français, encore un effort). Mais pour l'heure, servi avec une préface d'Edith de La Héronnière, elle-même bien connue des Alamblogonautes pour l'intérêt et la délicatesse de ses écrits, ces Lettres japonaises de Lafcadio Hearn vont trôner au sommet de votre cabas d'ici peu, vous verrez. Nous vous recommandons en particulier celles où il évoque la littérature qu'il aime (Zola et Kipling en particulier) et ses journées ordinaires. Délicieuses.



Lafcadio Hearn Lettres japonaises, 1890-1903. Traduites de l'anglais par Édith de La Héronnière et Marc Logé. Préface d’Édith de La Héronnière. Textes inédits de Hugo von Hofmannsthal et de Stefan Zweig traduits de l'allemand par Françoise L'Homer-Lebleu - Paris, Agora-Revue des Deux Mondes, 192 pages, 7,30 €

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