Aphorismes un jour, aphorismes toujours

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En 1982 paraissaient discrètement sous la forme d'un album, et c'est bien paradoxal si l'on y songe, Les Aphorismes d’un publicitaire (s.n.) d'un certain Jean-Marc Requien, patron d'agences de com rhônalpin devenu artiste du papier collé, qui, du slogan s'étant lassé, peut-être, avait choisi de placer sa plume plus à l'ouest. Sans avancer quoi que ce soit de la qualité de sa production, il rejoignait une cohorte qui a toujours été sensible à la forme courte et, sinon du haïkaï ou de la nouvelle, produit de l'aphorisme. C'est très tentant il faut dire : peu coûteux en huile de coude et parfois pleinement réussi, l'aphorisme procure à son auteur une aura indéniable de sage en acier trempé.
Mais nous ne nous traînerons pas ce jour sur les terres de l'analyse, aussi orientales soient-elles. Non, nous nous contenterons de signaler quelques volumes qui ont paru récemment dans le domaine et offrant ici ou là une phrase choisie.
Et pour commencer par un double échauffement léger, les Aphorismes de Fagus (Paris, Sansot, 1908), révélé dans la seconde moitié de son opus très préoccupé des relations hommes/femmes. Il ne s'y limite certes pas :

Un sage mort ne vaut pas une chienne en vie.

Nul logis qui ne recèle son cadavre. Le bon politique sonde à propos les planchers.

Penseur, ou politique, ou poète, garde-toi de biffer les contradictions de ton oeuvre : elle leur doit la vie.

Un peu plus tard, le dessinateur Paul-Franz Namur, ancien des tranchées de 14-18 et futur membre de la Légion, emprisonné à ce titre en 1945 à Nice, commit quelques sentences qui eurent l'heur de plaire, et même d'être commentées (A mon ami Kokolando. Pour plaire aux uns, déplaire aux autres, satisfaire ma pensée. — Paris, édition (sic) de l'éléphant vert, 68, rue Spontini (XVIe), 1929) :

Certains amis sont comme les primeurs : ils surgissent vite si on a grand soin d'eux.

On cherche parfois le bonheur comme on cherche un chapeau en l'ayant sur la tête.

La gloire est un enfant que vous adoptez avec enthousiasme, bien qu'il soit toujours en danger de mort.

Beaucoup plus près de nous, ce sont des salves d'aphorismes qui jaillissent comme portées par l'air du temps, le besoin de condenser la parole — pour lui éviter une vacuité de la parole par ailleurs assumée ?
Paraissent donc sporadiquement des ouvrages très divers, parfaitement non-attendus, d'autant plus excitants, parfois bien agaçants pour les dents, et en provenance d'horizons très variés.
Le plus obscur peut-être, et pas seulement pas son funèbre désespéré, est sans doute Nihil Messtavic. Le pseudonyme n'échappe à personne. Quant à la première page de son premier recueil, elle est à elle seule digne d'entrer en anthologie (on recommande également ses "Sentences létales", de la même eau :

Rien ne va bien, jamais, tout est toujours en attente sur la grand-route du pire.

Lorsque je suis seul, il en reste un de trop !

Le sens de la vie, c'est de sonder la mort avant d'y plonger.

Rien n'est vrai, tout est faux. Sauf la mort.


Voilà qui est dit. Olivier Hervy est pour sa part un documentaliste au sourire léger. Il trace le plus souvent des aphorismes ironiques qui semblent parfois de poétiques instantanés, des haïkaï en prose. Ou quelques chose de ces petites touches de couleur qui imprègne le papier buvard.

La petite gomme au bout du crayon sous-estime le travail de correction.


Ce cheval qui avance à pas lents - curieux et blasé.


Carte pré-imprimée glissée dans le livre que j'ai commandé : "Passez un bon moment". Mais il s'agit de "Si c'est un homme".



Grand maître en la matière, Peter Altenberg, traduit et présenté par Alfred Eibel, réapparaît en d'inédits exercices de haute voltige depuis sa Mitteleuropa chérie. Nous y retrouvons l'amateur de brasseries, personnage complexe et riche, paradoxal souvent, cabré dans sa position de chroniqueur et d'admirable faiseur de phrases :

Nous portons en nous une source inépuisable, intarissable, d'alternatives.

Traîner la jambe. Façon commode de fuir ceux qui marchent à vive allure.


Bien entendu, Maxence Caron, qui arrive juste après Altenberg dans notre pile, souffre de la comparaison. Mais il faut admettre que son Bréviaire de l'agnostique un peu vieille droite s'autorise quelques réussites dans l'exercice du paradoxe ou de l'aphorisme. Discutant naturellement beaucoup de la question de la divinité, il parvient à surprendre son lecteur qui a craint de s'ennuyer :

Parler, c'est chiquer du silence.

L'homme en sait juste assez pour être malheureux.


Épatant d'un bout à l'autre, le recueil du juré Nobel Horace Engdahl mérite que l'on s'y arrête - et vous en particulier, Alamblogonautes — car on retrouve quelque chose de l'esprit de Renard ou d'Allais, quelque chose qui emporte l'adhésion sans coup férir. Au point que l'on se demande bien pourquoi les livres de ce monsieur ne sont pas encore traduits en français...

La perspective de la fin du monde serait parfaitement supportable, si seulement on pouvait s'en griller une après.

Sans un petit goût de main courante, pas de biographie convaincante.

Tout aphorisme trébuche fatalement sur cette faille incontournable : il trahit l'admiration de l'auteur pour son art de la formule.

Et sur cette dernière sentence sentie qui nous rapproche du travail en jeu dans les recueils rapidement évoqués ici, il reste à signaler l'essai de Dominique Noguez qui confine à l'exercice de salubrité publique : la recherche des sources véridiques des grands aphorismes et l'explication des intentions de leurs auteurs. Son livre est délicieux et assez surprenant. Songez que vous allez enfin savoir qui a écrit "A chaque jour suffit sa peine" et "Je veux tout, tout de suite". Ah !





Nihil Messtavic Le Crachoir du Solitaire. — Dôle, La Clef d'argent, 2008.

Nihil Messtavic Sentences létales, aphorismes. — Dôle, La Clef d'argent, 2010.

Olivier Hervy Agacement mécanique. — Talence, l'Arbre vengeur, 2012.

Peter Altenberg A mots cours, à demi-mot, au bas mot... Textes réunis, traduits et présentés par Alfred Eibel. — Paris, France Univers, 2013

Maxence Caron Bréviaire de l'agnostique. Paradoxes, aphorismes, poèmes. — Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2013.

Horace Engdahl La Cigarette et le néant. Traduit du suédois sous le direction d'Elena Balzamo. — Paris, Serge Safran, 2013.

Dominique Noguez La Véritable origine des plus beaux aphorismes. — Paris, Payot, 2014.

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