Les pamphlets graphiques de Lucien Laforge

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Dessinateur du premier Canard enchaîné, celui qui avait encore aux pieds les boues de tranchées, Lucien Laforge (1889-1952) n'avait pas le caractère doux de la bergère. C'était à tout prendre un caractère qui, à l'instar de Jossot (récemment réédité par Finitude), trancha sa voie sans dévier. Un insoumis, un irréductible, un raide dont un roman graphique, si l'on peut dire, et une charge contre les profiteurs de guerre, c'est-à-dire deux pamphlets, viennent de paraître à l'enseigne de Prairial.

Au sortir de la guerre, en 1922, une fois les affaires d'Anastasie taries, les éditions Clarté publiaient Le Film 1914, une anthologie de dessins de presse dont Paul Vaillant-Couturier fait l'éloge dans l'''Humanité'' du 27 février 1992 (on vous laisse découvrir le détail). Soulignons seulement ceci :

La bourgeoisie française redoute l'esprit, la vigueur de pensée, comme la peste.
Si elle avait de grands satiriques de crayons ou de plume pour le défendre, elle les étoufferait, leur rognerait les ongles, leur limerait les dents. Elle est une classe installée au pouvoir et qui présent s'y décomposer confortablement.
Cham, Gavarni, Daumier, Gill qui la servirent du temps qu'elle était dans l'opposition, ne la défendirent pas sans l'égratigner, et le souvenir lui en cuit encore.
***
Je viens de parcourir l'album de Lucien Laforge, Le "Film 1914".
On sort de là comme étourdi, comme assommé.
C'est un réquisitoire massif, impitoyable, contre la guerre, ses causes et ses suites.
(...) Dans cet album, Lucien Laforge passe la polémique. Il atteint à l'oeuvre d'art du grand pamphlétaire.

Qu'ajouter ? Que ses danseurs mondains et leurs mondaines chaloupant, ses curés de l'arrière prêchant et ses bons pères prenant leur jaune au "café du com" sont bons à battre ? Les légendes inspirées par leur penser sont assassines sous la plume de Laforge. Ce dernier souligne admirablement la bêtise de leurs propos en ôtant quelque lettre de leurs tirades, ce b de Boche en particulier, et il martèle la "comerie" générale en s'appuyant sur des dessins répétitifs stigmatisant les foules à front de bête, les bourgeois ou les mercanti assis dans leur cynisme satisfait et leur bêtise crasse. Un régal d'esprit, Vaillant-Couturier avait raison.

Le Fim 1914 est à rapprocher des contestations de Jossot et de Masereel, même si Laforgee se rapprocherait graphiquement moins de ces deux derniers que de Félix Vallotton. Le trait de Laforge est très souple et efficace en effet, tandis que son propos fait immédiatement songer à celui d'Aurèle Patorni contondant les planqués au point que la réédition de Ronge-Maille vainqueur, recueil d'aphorismes rats, si l'on peut dire, de Lucien Descaves, mis en image par Laforge, évoque irrésistiblement les Notes d'un embusqué de Patorni (Mille et une nuits, 2013).

Là, le dessinateur s'autorise tout lorsqu'il s'agit d'illustrer le pire cauchemar du poilu, le rat — et par métaphore les profiteurs de guerre —, jusqu'au monstrueux tableau d'un groupe de ces bestiaux fouaillant le ventre d'un poilu à terre...

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Un mot encore de la maison Prairial qui revendique de sa marque fleurie tout l'utopique émanant du calendrier républicain dont Fabre d'Eglantine a établi la table. Si on en croit ces deux productions, parions que le programme rencontrera ici quelques échos... :

c’est le 1er prairial an III que le peuple parisien se soulève pour reprendre un pouvoir qu’on lui a volé. Semblablement nous voulons que Prairial, la maison d’édition, soit celle des délirants, des révoltés et des prophètes.



Lucien Laforge Le Film 1914. — Paris, Prairial, 62 pages, 16 €
Lucien Descaves et Lucien Laforge Ronge-maille vainqueur. — Paris, Prairial, 48 pages, 14 €

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