Les incipits de l'été (2)

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De ces jours-là il me revient d'abord ces tours que nous faisions en barque autour d'une petite île plantée de fleurs. On les changeait souvent car elles ne s'y plaisaient guère. Je ramais à l'abri derrière le corps immense de Madame Margarita. Quand elle regardait l'île un long moment, je m'attendais à ce qu'elle m'adresse la parole ; non pour me raconter ce qu'elle m'avait promis; elle ne parlait que de fleurs, on aurait dit qu'elle y voulait cacher d'autres pensées. Je me lassais de tant d'espoir déçu et je levais mes rames comme des mains fatiguées de compter toujours les mêmes gouttes. Je savais cependant qu'à un autre tour de barque je redécouvrirais, une fois encore, que cette lassitude n'était qu'un petit mensonge caché dans un peu de bonheur. Alors je me résignais à attendre les paroles qui me viendraient de monde presque muet, face cachée, et qui tournait sur l'eau grâce à mes mains endolories. (...)





Felisberto Hernández (1902-1963) Les Hortenses. Préface de Julio Cortázar. Présentation de Jules Supervielle. Traduit de l’espagnol (Uruguay) par Laure Guille-Bataillon. - Paris, Le Seuil, coll Points Signature, 272 pages, 8,50 €


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