Un Gaulois sinon rien

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Faire du neuf avec du vieux, c'est le coup brillant que viennent de réussir les Belles-Lettres avec la reprise du "Retour en Gaule" de Rutilius Namatianus, qui relate très poétiquement son trajet pour rejoindre sa terre natale, probablement du côté de Narbonne.
Rome est alors accueillante aux citoyens qui l'apprécient, la servent et l'honorent, et le Gaulois Rutilius a fait un belle carrière de préfet. La Capitale de l'Empire est accueillante. En 415, Rutilius décide de quitter son poste et sa chère Rome pour rejoindre sa région. Il trace durant son périple ce journal de voyage qui nous est parvenu, ouvrage de poète et de lettré, document aussi riche que touchant.

Humide de rosée, l’aurore brillait dans un ciel empourpré ; nous déployons nos voiles qui dociles à la brise se gonflent de biais. Quelque temps nous évitons le rivage où le Munio s’étale sur des bas-fonds, dangereux mouillage où une modeste embouchure agite les eaux sans trêve. Puis nous apercevons Graviscae avec ses toits clairsemés, lieu qu’en été l’odeur des marais infecte souvent. Mais les alentours boisés verdoient sous d’épaisses forêts et l’ombre des pins ondoie sur la bordure des flots. Nous distinguons d’antiques ruines que ne garde personne et les affreuses murailles de Cosa déserte. J’ai honte d’exposer la cause ridicule de son malheur, au milieu de choses sérieuses, mais je regretterais de tenir caché un sujet de rire. On raconte que jadis les habitants, émigrants involontaires, quittèrent leurs foyers infestés par les rats ! J’aimerais mieux croire aux désastres essuyés par la cohorte des Pygmées et aux ligues formées par les grues pour leurs guerres habituelles.
Non loin de là nous gagnons le port désigné d’après Hercule ; le jour baisse et aussitôt le vent mollit. Au milieu des restes d’un vieux camp nous devisons à nouveau, de la fuite hâtive de Lépidus en Sardaigne. C’est en effet sur les rivages de Cosa que l’ennemi du sang Romain fut chassé par Rome marchant sous les ordres de Catulus. Cependant il était pire encore, cet autre Lépidus qui dans la guerre civile soutint une guerre impie avec ses deux collègues et qui écrasa la liberté, — rendue à Rome par la bataille de Modène — sous des troupes de renfort aux yeux de la Ville terrifiée. Un troisième osa attenter à la paix ; il reçut le coup fatal que méritent ces malfaiteurs sinistres. Un quatrième voulut se glisser au trône des Césars ; il subit le châtiment d’une impure liaison. Aujourd’hui encore…, mais la renommée saura mieux que nous se plaindre de nos contemporains : laissons la postérité juger et flétrir cette race pernicieuse. Faut-il croire que de certains noms entraînent certaines moeurs ? ou bien qu’à certaines moeurs sont attachés certains noms ? Quoi qu’il en soit, c’est, dans les Annales du Latium, une étrange série de coïncidences qui ramène si souvent l’attentat armé des Lépidus. (...)
Au loin, j'admire les cimes boisées d'Igilium (Giglio), je n'ai pas le droit de la frustrer de l'hommage dû à sa gloire. C'est elle qui naguère protégea ses propres forêts, soit par sa situation naturelle, soit par le génie tutélaire de son maître, lorsque avec son modeste détroit elle fit échec à des armes victorieuses, comme si une vaste étendue de mer la séparait du continent. C'est elle qui accueillit de nombreux citoyens cassé de la Ville mise à sac ; c'est ici que las, ils quittèrent leur frayeur pour la certitude du salut.

Edité à plusieurs reprises depuis 1520, il reparaît cousu dans une toile élégante qui le rend appétissantes aux non latinistes. SI les spécialistes se pâment devant sa maîtrise du distique élégiaque, les lecteurs moins érudits contempleront du lointain de leurs quinze siècles un païen qui s'épanche, laissant courir sa nostalgie pour la patrie d'adoption qui s'éloigne, les panégyriques de ses parents et amis, et dénigrant les ennemis de l'empire livrant celui-ci aux barbares. Frappant aussi le contraste entre Rome, la ville chérie, et la variété des cités bordant la côte, tour à tour havres ou repaires sombres et passages périlleux.

Comme nous avançons dans la haute mer, voici que surgit Capraria, île repoussante toute remplie de ces hommes qui fuient la lumière. Eux-mêmes ils se donnent le nom grec de moines, parce qu'ils veulent vivre seuls, sans témoin. Ils redoutent les faveurs de la fortune, tout en en craignant les revers. Se peut-il qu'on se rende volontairement malheureux, par peur de le devenir ?

Habillé avec les astuces des jeunes graphistes de notre époque, le texte prend tout à coup des allures d'incontournable "tout public" des lettres classiques, de trouvailles inouïes - quand les latinistes le connaissaient par coeur depuis fort longtemps. Mais il faut rendre hommage à la malice des éditeurs lorsqu'ils en ont : ce Retour en Gaule est un coup de maître.



Rutilius Namatianus Retour en Gaule. Texte traduit et présenté J. Vessereau et F. Préchac. - Les Belles-Lettres, 104 pages, 15 €

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