Les jardins merveilleux de Ferdinand Bac

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Les écrits de Marco Martella (et de ses pseudonymes) redoublés par sa revue Jardins nous avaient alerté sur l'émergence d'un sujet prégnant. Tandis qu'on verdit les façades d'immeubles (tant bien que mal) et que les Chinois construisent une ville-sylve expérimentale avec l'architecte italien Stefano Boeri, le besoin de verdure et de petits animaux et insectes (parfois mal comprise : la Ville de Paris a fait de très gros efforts en faveur des rats qui se sont multipliés depuis peu : ils seraient six millions, bientôt la prochaine peste) s'est déclaré chez M. Toulemonde. Du vert, fini le béton, fini le bitume, de l'arboré, de la chlorophylle crient les gosiers, et c'est bien puisque les arbre et la verdure sont ce qui rend la vie possible en zone humaine. Là encore les urbanistes et les architectes français n'ont pas encore tout à fait compris. Pas encore. Plus tard. Quand le modèle chinois aura prévalu. Nous avons cependant un modèle plutôt éloquent : Ferdinand Bac.

Petit-cousin germain de Napoléon III, Ferdinand Bac (1859-1952) peignait et écrivait avec beaucoup d’élégance. On sait moins les talents de paysagiste qu’il tenait de son père géologue et cartographe. Agnès du Vachat consacre un très bel essai à cette activité de l’esthète, Le Jardin méditerranéen de Ferdinand Bac. Elle montre comment Bac a réinventé le jardin du Sud au moment où s’épanouissait la Riviera, émettant en particulier un net refus du pastiche et de l’ornement pour les trois jardins de sa composition, ces « jungles de beauté ».
Projet de refondation culturelle de l'art des jardins bien plus que lubie de richissime personnage, Ferdinand Bac a puisé aux sources de l'histoire, du territoire méditerranéen et des espèces indigènes de quoi construire pour l'avenir, lançant en fait un mode du jardin latin, ou méditerranéen jusqu'en Californie.

Les pauvres Européens, écrivait-il en décembre 1926 dans Commedia, qui ne se décident pas à avoir le sens de l'Extérieur seront bientôt pareils à ces mouches, enfermées dans un verre d'eau, et qui escaladent ses parois en imaginant être au bout de l'univers. Un exercice démesuré du passéisme a longtemps empêche ces gens de jeter un regard vers un présent qui est encore leur avenir et, mêlant le romantisme au classicisme, ils ont vécu sur les vieilles formules dont le pire qu'on puisse dire est qu'elles se répétaient.

Créateur paradoxal cherchant dans le passé de quoi fabriquer le moderne, il a mis en évidence un art du jardin — depuis transformé en casino sur la Riviera... — équilibré, subtil, évocateur.

Quand j'étais enfant, je voyais sous mes fenêtres un très vieux monsieur se promener dès l'aurore dans un jardin de son âge. (...) Son port était olympien, son visage encadré d'un collier de barbe blanche, et malgré sa calotte de velours noir et le râteau qu'il tenait à la main, il avait un air diplomatique. C'était un conseiller de légation, octogénaire, qui, à la Cour de Weimar, avait connue M. de Goethe. Un jour je me hasardai à aller le voir et en me faisant les honneurs d'un pavillon, croulant sous le lierre et rempli de pots de fleurs et oignons de tulipes, il me dit : "Mon enfant, un jardin est une réduction de l'Univers. Il comble tous les besoins de l'homme qui, s'il était moins sot, ne chercherait pas plus loin."
Je contai ma visite à un jeune élève de l'Ecole polytechnique qu j'admirais pour son savoir et celui-ci me défendit de prendre au sérieux les propos de ce vieux radoteur. Je le lui jurai, mais je n'ai pas tenu parole" (1).




Agnès du Vachat Culture et Paysage. Le Jardin méditerrannée de Ferdinand Bac. — Nantes, Petit Génie, 192 pages, 21 €
Un article relatif au même sujet, par Agnès du Vachat.


(1) Il y a lieu de s'attarder sur cet article de Ferdinand Bac issu de la Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1925. Il s'intitule "L'art des jardins" et il est passionnant.

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