Des livres et du cuivre

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Dans la famille Clavel, demandez Fabien : il a publié il y a une paire d'années Feuilles de cuivre qui reparaît aujourd'hui en semi-poche. Son roman qui est de type polar à l'ancienne rappelle assez vite Akounine ou le Victor Legris de Claude Isner (et consort), mais il n'y est plus question d'un libraire enquêteur, plutôt d'un flic bibliomane. Notez la nuance. Le flic se nomme Ragon (clin d'oeil probable à Michel Ragon) et il est énorme. Une sorte d'Outremangeur, pour ceux à qui cela parle. Naturellement, il s'en sort très bien et nous emmène sur des terres et dans des éthers qui ont de quoi susciter l'étonnement des amateurs de polars à la papa ou de produits "à l'américaine".
Littérairement, chacune des histoires proposées est construite, et même léchée, pour s'intégrer à un récit long. Parfois, on songe un peu au dernier roman de Jean-Pierre Ohl, à ceci près que Fabien Clavel est issu de la littérature de genre (SF et régions circonvoisines), une particularité qu'il a su effacer pour ne montrer plus qu'un goût affirmé, qu'un style ferme et fluide, un appétit d'images efficaces et de phrases emballantes. Conclusion : son livre est de ceux qu'on ne peine pas à recommander ici.
A propos de Feuilles de cuivre, on a pu lire qu'il appartient au genre "steampunk". Parce qu'il y a des esprits ainsi faits qu'ils comblent le vide en tentant de l'obstruer avec des chevelures qu'ils ont préalablement coupés en quatre dans le sens de la longueur. Chez Clavel (Fabien), on n'aperçoit ni la vapeur ni le punk, mais il faut croire que nos capilotronçonneurs sont aussi amateurs de placards et adorent apposer des autocollants sur leurs portes. Disons les choses simplement : avec Feuilles de cuivre, Fabien Clavel a réussi un roman sous forme d'enquêtes successives, lesquelles tissent un bon récit de longue haleine. Son auteur n'a ménagé ni sa culture générale ni les subtilités pour produire un scénario astucieux en milieu historique dépaysant. Et le tout se lit avec plaisir. Si tous les polars étaient écrits comme ça...

Ragon pénétra dans le bâtiment de la Grande-Roquette avec sa lenteur habituelle. Le moi d'août était trop chaud pour lui et il étouffait à chaque pas. Sa respiration n'était qu'une longue brûlure, l'haleine bouillante d'une machine à vapeur. Dans son habit noir, il se sentait des allures de vieille locomotive essoufflée. Il repensa à la Lison de La Bête humaine.
Pouvons-on vivre uniquement dans les livres, à travers les livres ? Oui, pour assourdir la rumeur ignoble du monde, ce cri vulgaire et souffrant qui lui vrillait le crâne à la manière des portes de prion qui grincent. Et puis pour oublier son tumulte intérieur aussi, cette noire maritime bouillonnant au rythme des souvenirs.




Fabien Clavel Feuilles de cuivre. — Paris, Libretto, 319 pages, 10 €

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