On a écrit des pièces sur des types qui attendent. Comme nous. Ils attendent, et rien n'arrive. Personne. Ils attendent quelque chose-Quelqu'un. C'est celà, le drame... Car le public attend, lui aussi. Mais ils savent qui, ils savent quoi. Nous, nous ne savons pas. Nous n'avons pas de public - ou plutôt sommes-nous nos propres spectateurs. Nous n'attendons que ce qui, que ceux qui nous ont fait peur toute la vie. L'ennemi. Il suffit d'avoir peur pour que ce soit l'ennemi. Quel ennemi ? Nous n'échapperons plus jamais à cette peur, à cette attente. Notre fortin est au milieu d'un monde comme un désert. il n'y a que la nuit. "Le calme règne dans les villes", nous a fit la radio. On dénombre les prisonniers et les dépôts capturés. Cette première phase de la guerre est gagnée, paraît-il... Nous, l'autre et moi, nous veillons. Nous gardons une ligne - nous sommes cette ligne que nous gardons. Au début, j'avais besoin de me dire que nous avions raison. On a toujours raison quand on a peur. Aurons-nous encore raison - après ? Après ! Il n'y arau pas d'après. Apr-s ce sera avant... une autre peur, une autre attente... QUand nous en aurons fini avec ceux-(là, nous en attendrons d'autres, d'autres nous attendront. Peut-être nous ressembleront-ils, cette fois. Peut-être ne seront-ils nos ennemis que parce qu'ils nous ressembleront. Ils porteront le même uniforme que nous, celui de toutes les armées de la peur. Bien sûr, ils n'auront pas les mêmes idées. Mais, les idées, on les a avant. Quelles idées avons-nous, maintenant ? Nous en avons eu - nous en aurons... Plus ou moins sûres, plus ou moins justes... Je crois que le tort, justement, c'est d'avoir des idées. (...)
Daniel Mauroc Le Zouave du pont de l'Alma. - Paris, Editions Two Cities, 1961.
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