La zone du dissident Dovlatov

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Les éditions La Baconnière propose la réédition du premier livre de Sergueï Dovlatov, un romancier russe dont le rôle paraît au fil du temps de plus en plus important. Né en 1941 et décédé en 1990, Dovlatov était un journaliste indiscipliné et par conséquent régulièrement renvoyé. Jamais publié en URSS comme on imagine, il devra attendre son exil aux USA en 1978 pour commencer à voir ses écrits publiés. Son premier livre, La Zone, ses souvenirs de gardien de camp, est publié en 1982. Le texte lui est arrivé d’URSS sous forme de microfilms tronçonnés et transportés par des « Françaises courageuses ». Mais il en manque des bouts et il lui faut louer un lecteur de microfilm pour recomposer son manuscrit dont aucun éditeur ne veut du reste : Soljenitsyne est passé par là. Mais Dovlatov ne voit pas les choses de cet oeil : il n’était pas un prisonnier politique mais un gardien de camp, et de camp de prisonniers de droit commun. Son expérience n’est pas identique — et il a le droit d’exister, ainsi qu’il l’explique dans la première lettre à son ami éditeur qu’il a intégré à son livre.
Ce dernier a l’air décousu, il est simplement authentique. Rien n’est fortuit, les noms des personnages sont bien les leurs, il ne triche pas.
Incipit :

Le vieux Kaliu Pakhapil détestait les occupants. Il aimait le chant choral, l’amertume de la petite bière et les bébés grassouillets.
Seuls les Estoniens dont le droit de vivre ici, disait Pakhapil et personne d’autre. Les étrangers n’ont rien à faire dans le coin.

Suivent deux cents pages d’une littérature âpre et drôle où jaillit les interactions entre prisonniers et gardiens, sans grades et officiers, hommes et femmes. Une société à part dont les règles sont loin d’être celles que l’on imagine.
Quelle zone... Dovlatov n’est pas un moraliste mais un observateur, doublé d’un dissident. Tandis qu’il se paie les intellectuels soviétiques dans un autre de ses livres, La filiale, il donne dans La Zone un aperçu de la vie en camp comme un sociologue doublé d’un sage sans illusion aurait pu le faire. « Les mêmes personnes manifestent des aptitudes égales pour les bonnes comme pour les mauvaises actions. Je n’avais nulle peine à me représenter tel récidiviste dans la peau d’un héros de la guerre, d’un dissident, d’un défenseur des opprimés.
"Et inversement, des héros de guerre se fondaient avec une facilité étonnante dans la masse des détenus. » Chez Dovlatov, les êtres sont pris pour ce qu’ils sont, sans fard, sans angélisme, sans colère ni opprobre non plus. C’est cette patine véritable, ponctionnée sur l’Homme, qui fait tout le prix des livres de Dovlatov. On ne remerciera jamais assez Samuel Brussels, fondateur des feu éditions Analolia et La Baconnière pour cette résurgence de grands livres.



Sergueï Dovlatov ''La Zone. Souvenirs d’un gardien de camp’’. Traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs. — La Baconnière, 190 pages, 14 €


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