Les mots du livre : L'Inseratur

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La Réforme de L'inseratur


Dans L'Initiation à la Vie du Livre (1), MM. Guitet-Vauquelin, Houdin et Mac Orlan proposent de réformer l'inseratur. 0 candeur ! C'est jeune et ça ne sait pas ! Et il y a aussi la réforme de la Constitution.
L'Inseratur - il n y a aucune honte à l'ignorer - l'Inseratur, c'est la "prière d'insérer". C'est cette brève notice, d'une vingtaine de lignes, que les éditeurs ont accoutumé d'insinuer dans les exemplaires destinés aux critiques. Comme c'est l'auteur lui-même qui rédige ce boniment, ce n'est généralement pas un modèle d humilité chrétienne. Les points d'exclamation ne lui coûtent guère ni les épithètes pindariques. La parution du livre est signalée comm un des événements qui partagent l'histoire : avant le chef-d'œuvre ; après le chef-d'œuvre. Rien de plus hardi... Rien de plus troublant... Il contient tout : le présent, le passé, le futur. Ne pas le lire, c'est s'obstiner dans les ténèbres. Qui le lira demeurera ébloui jusqu'au grand sommeil. Et encore ! Il n'est pas assuré qu'il ne s'en souviendra durant l'éternité.
liait jours après personne ne se souvient dit livre ni de l'Insératur. Le morceau d'ailleurs. est inusable : à peine rejeté, il est ramassé et repoli par un des trois mille ailleurs qui nous gratifient, bon an mal an, d'un, chef-d'œuvre unique.
Cet usage est assez ancien. Il est déjà en germe dans ces prospectus littéraires que 'faisaient rédiger, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les libraires hollandais et français. Mais alors quelques pincées de sel critique atténuaient la fadeur de ces catalogues. Les plus grands écrivains du XIXe n'ont pas rougi de se tresser à eux-mêmes ces couronnes massives. Hugo et Balzuc y dépensaient un soin tout à fait ingénu. Les grands hommes sont de grands enfants.
Si cette coutume n'était à la fois puérile et inulile, elle serait tout à fait injurieuse pour nos Zoïles et nos Aristarques. Leur fournir des analyses condensées, leur donbern en Kub ou en pilule, les quatre cents pages de nos romanciers les plus obèses, ajouter encore à la boulette le thym, le laurier, toutes les herbes de la Saint-Jean, est-ce pas les assimiler aux petits cancres qui copient leur thème, leur version, leur problème par-dessus l'épaule du voisin appliqué ? Est-ce pas nous dire, à nous auttres porte-férules patentés : « Ne vous abimez pas les yeux, vieux chassieux, à lire ce rare chef-d'œuvre. La vie est courte ! Embarquez-vous pour Cythère, pauvre censeur libertin ! Abandonnez l'écritoire où vous vous noyez comme un insecte éberlué ! Passez-nous votre porte-plume, vieille baderne ! Nous n'aurons pas grand'peine à le manier plus légèrement, vieille pantoufle ! Et quand vous liriez notre livre, qu'y comprendriez-vous, illustre podagre ? Vous vous noieriez dans cet abîme de sublimité. Nous n'avons besoin que de votre glorieuse signature. insigne radoteur ! Signez ! Avalisez cette traite tirée sur la postérité et allez vous coucher ! »
Généralement, le critique ne tient aucun compte du délirant Inseralur. Il rejette l'insidieux feuillet comme feuille morte. Grâce à MM. Mac Orlan, Guitet-Vauquetin et Houdin, le plomb se changera-t-il en or pur ? Si on écoute nos trois audacieux, désormais l'lnseralur ne sera plus une plate flagornerie, la danse de l'auteur devant son armoire à glace. mais une fiche bibliographique expédiente. Elle mentionnera, cette fiche, non seulement le sujet du livre et les intentions de l'écrivain - tout somme l'autre, et plus que l'autre peut-être, l'enfer littéraire est pavé de bonnes intentions - mais encore, le format, le prix, la date de publication, l'indication des ouvrages antérieurs dudit auteur. Enfin, une courte notice biographique avec, sans doute. photographies avantageuses.
Cette notice biographique me fait trembler pour l'auteur comme pour le lecteur. Qui. la rédigera ? Lui. Bon ! Comment dire en trente lignes ce qui. exigerait trente volumes ? Comment passer sous silence tant de faits qui jettent une clarté éblouissante sur nouveau chef-d'œuvre : « Qu'on a été nourri, six mois au sein et six mois au biberon. Qu'on s'est montré stoïque dans la douloureuse opération du sevrage. Que, dès l'âge le plus tendre, on a manifesté celte richesse d'imagination qui décore l'ouvrage soumis à l'applaudissement des gens de goût. Qu'à la manière dont on jouait à la broquette et dont on retroussait sa jaquette pour s'en aller à la moutarde, on témoignait déjà les fulgurantes qualités qui... » Tout cela en trente lignes succinctes ! Vous vous moquez de vos confrères, MM. Houdin, Guitet-Vauquelin, Mac Orlan !

Jean-Jacques Brousson


(1) Initiation à la vie du livre par Pierre Guitet-Vauquelin, Pierre Mac Orlan et A. Houdin, La Renaissance du Livre, 1924.
Nouvelles littéraires, 30 août 1924

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