Vertus de la fausse nouvelle

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A l'orée d'une semaine qui s'annonce riche en billevesées, mensonges, omissions et manipulations verbales diverses prétendument véritables (1), il nous paraît grand temps de saluer une revue qui n'a pas eu droit jusqu'à présent à sa vitrine - légitime - sur l'Alamblog, silence dont le Préfet maritime se repend, vous pouvez le croire, trop conscient qu'il est du rôle émollient de ce délicieux petit alizé qui souffle doucettement sur son île cette saison... Allons, au fait : il s'agit de la revue Des Faits.
Lancée par les éditions Prairial il y a un an, elle paraît peu, prudemment, c'est-à-dire une fois par an, ce qui en fait un titre discret mais bien présent au coeur de ceux qui l'ont approchée. Ses deux premiers numéros ont assez de consistance (voir les sommaires infra) pour que l'on se permette de poser un jugement très favorable sur son entreprise un peu folle. Oui, car comme la revue R, par exemple, qui expérimenta sa forme propre pour se distinguer du lot des revues revuistiques, Des Faits a opté pour un positionnement particulièrement audacieux en ces temps de chasse aux sorcières...
En s'inscrivant dans la tradition du canard, décrite par Nerval dans Le Diable à Paris (P., Hetzel, 1845, "Histoire véridique du canard"), puis exploitée, par exemple, par Rodolphe Bringer, Gabriel de Lautrec et Roland dans leur "Petite Semaine du Sourire, quotidien hebdomadaire de fausses nouvelles", et, naturellement étudiée de près par le duo Arnaud-Caradec dans leur épatante Encyclopédie des Farces et Attrapes (Pauvert, 1964), Des Faits prenait un risque majuscule en prétendant à l'heure des "mooks" rivaliser par défaut sur leur territoire, le reportage, et en le faisant avec l'outrecuidante intention de s'inspirer de la réalité pour la détourner. Sans vergogne, cela va de soi.
Alors que ces "mooks" ont perdu dans la plupart des cas l'intérêt que leur valait leur "nouveauté", il ne reste de cette mode de "nouveau reportage très écrit" que quelques livres, rares, et ce besoin toujours renaissant d'en savoir plus. Avec Des Faits voici que la fiction assumée vient mettre un bémol et du sel à l'intérêt que l'on partage pour l'information. N'est-on pas déjà convaincu que la littérature est l'un des meilleurs vecteurs du savoir ? Ne lit-on pas déjà les ouvrages de science-fiction comme des propositions désormais utiles à la vie collective ? Ne sait-on pas, par ailleurs, que les meilleurs fables sont celles qui ont toutes les apparences de la réalité ? Avec beaucoup de courage, Des Faits nous apporte ce que nous ne saurions voir, notamment parce que cela n'existe pas mais encombre néanmoins nos imaginaires quotidiens.
Combien de sous-marins russes n'ont pas remonté les fleuves français avant que l'on rêve d'en remonter un, tout de même, à leur bord ?
Le roman descriptif de notre monde rationalisé ayant un peu lassé tout le monde (Perec déjà disait Les Choses...), il est temps de surfer avec Des Faits sur les mythes de notre époque. Roland Barthes poussant son travail jusqu'à la fiction, Edgar Morin poussant le bouchon jusqu'à la littérature, nous retraçant, pourquoi pas, la filière de traite des blanches qui n'existe pas à Orléans, c'est Des Faits et c'est bien. car c'est à leur audace, à leur puissance imaginative et à leur désinvolture ou à leur morgue qu'on reconnaît les écrivains qui mènent loin. Parions qu'ils sont en germe, ici, au milieu Des Faits sans certitude, Des Faits sans fondement.


Sommaire du numéro 1
Rumeur (Maxence Béget, Marie Lavigne, Léon de Perthuis & Miranda Pochon)
Quelque part sous la terre
Main basse sur le pétronium (Benjamin Levy)
Bravitude : l’assassinat d’un mot (Florence Weiss)
Terreur rouge en ce vert paradis (Brune Forestière)
« Le corps comme champ de bataille » (entretien avec Virginia Berlín) (Yves-Marie Aurélien)
Les loups et les hommes (Sven Eriksson)
A ingré, les employées harcelées balancent leur « porc-épic » (Anne Siam)
Crasses, rap et tacos (Quentin Vuillerminaz)
Louise la guérisseuse (Adrien Lalanne)
Haro sur le bois blond (Lila Lakehal)
Mon petit Pierre, empereur du Brésil
Tchernobyl, c’était moi (Jacques Cassoub)
Jean Wallenstein, le silence et la gloire (Lucien Jude)
Horoscope (Maxence Béget)
Jeu (Quentin Schwab)
Dessins : Géraldine Chazel & Quentin Schwab

Sommaire du numéro 2
Rumeurs (Guillaume Le Testu & Marie Pinaud)
Poincarémania (Marie Pinaud)
Rififi au pays du matin calme (Florence Weiss)
Objectif thune (Marie Pinaud)
Ensauvagement : la grande menace (Gaëtan Lucerne)
Un sac de nœuds (Miriam Deslogis)
Aux portes de l’en-deçà (Benjamin Lévy)
Chute à Auch (Jacques Cassoub & Clémentine Geay-Cassoub)
Kraken, kraken (Guillaume Le Testu)
Sous les menhirs, le carnage (Maxence Béget)
Les silences du capitaine Sturt (Lucien Jude)
L’étrange cas du Dr. Enid Blyton (Édouard Launet)
Tsai ing-wen rebranchée (Anne Siam )
Les pictogrammes venus de l’abime du temps (Miranda Pochon)
Le bon tour de Londres (Adrien Lalanne)
L’horoscope de Maxence
Dessins et gravures : Géraldine Chazel & Quentin Schwab)

N° 1, 64 pages, 10 €
N° 2, 72 pages, 10 €



(1) Ce qu'elles seront vraiment cependant en tant que faussetés...

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