Retour de Codet

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Retour de Louis Codet en 2019 : deux rééditions pour le discret Gascon, figure notable parmi les braves des lettres du début du siècle, fauché par la Guerre en 1914, qui promettait d'être un nom de la littérature du siècle dernier.
Admis aux sommaires de la Revue blanche et des Marges, ami d'Apollinaire et de quelques autres, il était un espoir et une bonne humeur, quand bien même le jeune docteur en droit se retrouva sur les bancs de l'Assemblée nationale.
La Petite Chiquette fut son premier roman publié - il reparaît aujourd'hui grâce aux éditions lyonnaises, et César Capéran nouvelle publiée à titre posthume en 1918 qui semble dire une fois encore ce qu'il avait toujours dit, que la vie en province était bonne mais que les dandys sont bien mieux à Paris. Ci-dessous, un texte d'hommage qui vient compléter la page anthologique avec autoportrait et bibliographie précise, ainsi qu'un article de Pierre Camo (Nouvelles littéraires) et d'Eugène Montfort (Le Figaro). Il faut noter, puisque ses Amis eux-mêmes le signalent, que Claude Simon, qui n'était jamais que le fils de la cousine de Codet, s'autorisa l'ironie à son propos dans son Acacia. Il y concoque le « jeune député par droit héréditaire, poète à ses heures ». Court et peu flatteur, ce n'est que l'avis de Claude Simon, qui ne l'avait sans doute pas lu beaucoup (la concurrence familiale, n'est-ce pas...). D'autres, sans lien, firent de bien meilleures lectures.



Louis Codet, de Saint-Junien

C'est une des grandes figures de notre pays limousin que Saint-Junien a honorée le 28 mai dernier. Les anciens du 90e territorial ont voulu perpétuer le souvenir de leur frère d'armes, blessé mortellement Je 5 novembre 1914 dans la plaine flamande : une plaque a été apposée sur la maison familiale de Louis Codet qui fut un écrivain de talent et un peintre agréable.
Issu d'une très ancienne famille de Saint-Junien, Louis Codet, naquit le 8 octobre 1876. Il fit de solides études à Paris, en compagnie de Maginot et de Tardieu et passa brillamment son doctorat en droit.. Il représenta, en 1909 et 1910, l'arrondissement de Rochechouart au Palais-Bourbon. Son action politique fut de courte durée; il n'avait pas le goût. des luttes électorales. « Je parle en réunion publique, écrit-il lui-même. On trouve que je suis un peu froid. Je ne peux pas gueuler. J'espère que. ça viendra. !,.. Ajouterai-je que ce qui m'étonne toujours dans ces aventures, c'est de m'y voir ! (1er février 1909.) Ce qui touchait à l'art le préoccupait davantage. Dès son enfance, il aimait à peindre de naïfs petits paysages sur les panneaux d'armoire dans sa maison familiale.
Plus tard, élève, de l'Académie Julian et de l'atelier Cormon, son talent s'affirma, mais Louis Codet resta un dilettante. « Ce sale mot italien cache, disait-il, une charmante manière d'être toute française ! »
Jamais il n'exposa. Pourtant ses tableaux valent bien, dépassent même parfois, la plupart de ceux qu'on voit actuellement dans les salons de peinture. Sa façon était moderne avant les Modernes et tel de ses paysages d'avant 1900 pourrait prendre une date d'après guerre.
Il fut surtout un écrivain plein de charme, de sincérité et d'exquise sensibilité. Il publia de son vivant « La Petite Chiquette » et. « La Rose du Jardin ». Après sa mort, son frère et ses amis firent paraître ses autres œuvres : « César Capéran », « La Fortune de Bécot », « Poèmes et Chansons ». Ses correspondances paraîtront bientôt et c'est dans ses lettres qu'on retrouve Louis Codet bien vivant, avec tout son esprit.
Louis Codet était Limousin de race, mais n'en avait pas très nettement l'empreinte. Ayant fait toutes ses études et vécu à Paris, il ne connaissait que superficiellement notre pays; c'est la raison pour laquelle il l'a peu chanté. Il l'aimait pourtant; une longue ascendance lui avait légué un sang limousin pur qui domina tous jours l'acquit en d'autres régions; nous en voulons pour preuve ces lignes extraites d'une lettre et qui mériteraient d'être jointes au dossier de l'enquête de la Vie Limousine : « Le Limousin est un pays de paradis. Tous les arbres, qui ont poussé à vue d'œil depuis huit jours, ont des verdures si tendres qu'elles me touchent comme une tendresse humaine. Les pommiers, les marronniers sont en fleurs; toutes les haies sont fleuries, les rossignols sont en voix. » (18 avril 1906).
Pour Louis Codet, il semblait que l'univers entier fut une belle proie sensuelle à conquérir ; dans ses poèmes et dans ses lettres, on retrouve plus particulièrement cette quête amoureuse dans toutes les choses et en.tous lieux. Il aspirait la vie par tous ses sens que son amour de la beauté en ses diverses manifestat'onn avait affinés. Sa façon épicurienne de sentir a été décrite de façon amusante par un de ses amis, le sculpteur G. : 1° Quand Codet a déjeuné, il lui faut prendre son café. C'est un type qui voyage avec tous ses vices !
2° Quand Codet est dans un musée, au bout de trois quarts d'heure, il a envie de partir. Il n'a rien vu de Florence !
3° Quand Codet est dans la rue, il s'en va tête baissée et prend la première rue qu'il trouve, et ainsi de suite.
4° Un jour, à Florence ! il s'est arrêté pendant plus d'une demi-heure pour voir un faiseur de tours sur une place !
Et Codet ajoute lui-même pour se justifier : « Ah ! si vous l'aviez vu, le faiseur de tours sur la place de Florence : un vieux bonhomme blanc, pareil à ces petits grotesques de Tanagra qui sont dans les vitrines du Louvre ; et une verve. et une manière populaire de faire écarquiller les yeux aux bonnes gens qui l'entouraient !. Ça valait plus d'une demi-heure !
Voilà l'homme. Riche, et par conséquent sans les soucis qui hantent souvent les artistes, sans l'embarras des courses chez l'éditeur, son talent gagna en personnalité et en finesse; il écrivit pour lui-même, selon son état d'âme du moment :

Ces chansons
Qui ne sont
Faites en vers ni en prose
Mon cœur toujours enfantin des compose,
Mon cœur toujours incertain
Qui chante soir et matin
Et encore à la nuit close.

On retrouve dans ses poèmes la façon de Hérédia ; ses sonnets descriptifs des sites merveilleux de la Catalogne française et espagnole, sont de purs petits chefs-d'œuvre :
Que j'aime la douceur de la mer catalane,
Au retour des bateaux, le soir, quand les pêcheurs
Traînent sur les galets, jusqu'au pied des platanes,
Leurs barques aux beaux flancs, claires comme des fleurs !

Ou pèse les poissons qu'on vend sur Je rivage,
Et le vieux Gaudérique, en bonnet phrygien,
Fume sa pipe, assis sur un rond do cordages,
Tandis qu'un enfant nu joue avec un grand chien.

Une voile palpite encore, au vent de l'Espagne ;
On voit, parmi les chênes-verts de la montagne,
Descendre des mulets portant des raisins noirs.

Que j'aime la douceur de la mer catalane !
Nous danserons, ce soir, quelque lente sardane
Sous la lune qui luit, pure comme un miroir.

Ses chansons ont plus de liberté, plus de spontanéité aussi. Moins de recherche dans l'expression, moins de poli sur le métier où l'ouvrage n'est porté qu'une seule fois, mais quel charme primesautier dans ces petits chants sans prétention :

Le Jour qui, ce matin
Vint en robe de soie
Couleur de joie,
En traînant dans l'eau son soulier de satin,
Le Jour, le tendre Jour, a ce matin sur moi
De ma vieille maison,
Tandis que la servante était en oraison,
Et qui a répandu sa traîne lumineuse
Sur le gazon,
Le Jour, le tendre Jour, a ce matin sur moi
Produit un effet magique, je crois !

Le voyageur amoureux des grands espaces, le dilettante qui parcourait les vieilles rues de Florence ou de Gènes, aimait aussi sa maison, cette vieille maison entourée de vieux arbres dans le vieux Saint-Junien. Six siècles, les Codet l'ont habitée et Louis ne se lassait pas d'admirer la diversité des vieilles choses assemblées par ses anciens : les faïences.
Vieux pots peinturlurés, jouets de mes yeux las,
Où très ingénument font dinette mes rêves,
0 vieux pots ébréchés où je mets des lilas,
Tous les ans, quand l'hiver s'achève,
Chantez devant mes yeux, chantez dans ma- maison
Votre ancienne romance
0 vieux pots décorés avec tant de raison,
0 superbes vieux plats des auberges de France !
Les meubles.
Ce fauteuil valétudinaire,
Que fait-il, qu'attend-il ici ?
Ce fauteuil valétudinaire
Où j'ai vu ma pauvre grand-mère
S'asseoir si tristement Mon Dieu !
Au coin du feu.
Ah ! n'est-ce pas moi qu'il attend ?

Les portraits du salon l'émouvaient un instant, mais l'âme gavroche de l'artiste ne pouvait résister à l'envie de leur faire la nique. Quelle jolie chanson.

Salut, Messieurs les Morts, qui fûtes nos grand-pères !
Messieurs les Morts, haut cravatés,
Et pourvus de mentons austères.
Dites, Messieurs les Morts, qui, d'un œil militaire
Paraissez contempler avec sévérité
Votre postérité.
Je n'ai pas l'honneur de vous plaire ?
Toutes et tous, vous habitez toute mon âme !
Vos cœurs fondus en moi, palpitent dans mon corps !
Ô Morts, vous vivez de ma flamme,
Et moi, je suis déjà aussi mort que vous, Morts !
Voilà pourquoi j'ai grand'pitié de vos airs austères
Et de ces regards militaires
Que vous affectez, ô Messieurs les Morts,
Dans vos cadres bosselés d'or !
Volià pourquoi j'ai grand'pitié de nos misères !

Est-ce irrévérence ? Croyons plutôt à la respectueuse émotion du dernier en date d'une très ancienne famille.
La guerre vint. Louis Codet devait être une de ses premières victimes. Parti dès les premiers jours avec le 90e territorial, c'est pendant la courte période qu'il passa au front qu'il connut vraiment le paysan Limousin. Courte période, hélas ! puisqu'il fut blessé le 5 novembre 1914 et devait mourir le 27 décembre.
Dans les premières semaines, le nom de Codet cependant bien connu des Limousins, ne leur en imposait pas outre mesure; nos paysans-soldats voulaient connaître l'homme, prêts à l'aimer s'il le méritait. Ils l'aimèrent parce qu'il les aima.. Qu'on nous pardonne cette longue citation, c'est un si bel aspect de l'âme limousine.
Un soir, j'ai fait entrer les hommes de ma section dans une grange où ils devaient cantonner ; il y avait là beaucoup de paille entassée jusqu'aux poutres du toit.
Je leur, dis : « Vous serez très bien. Etendez à terre une bonne couche de paille et couchez-vous. »
Mais je voyais les hommes, hésitants, qui passaient lentement la main sur cette paille.
- Elle n'est pas battue, dit l'un d'eux.
- C'est dommage. C'est de beau blé, dit un autre.
- Oui, c'est de beau blé, répéta un troisième.
Ils m'expliquaient que s'ils tiraient cette paille et couchaient dessus, le blé serait perdu, tandis que ces épis ainsi amoncelés se conserveraient pendant très longtemps.
Je répondis, un peu impatienté, à mes vieux paysans limousins, je leur répondis qu'étant donnés les malheurs de la Belgique, quelques épis de plus ou de moins n'entraient pas en compte ; que d'ailleurs, la grange serait probablement incendiée un jour prochain ; que l'important, pour eux, c'était de se coucher, d'avoir chaud dans la paille et d'être à l'abri des courants d'air.
Je revins à l'aube et je vis mes hommes étendus à terre, sans paille, entre les deux grandes portes mal jointes de la grange.
Tandis qu'ils s'équipaient lourdement, je leur demandai encore :
Pourquoi n'avez-vous pas pris cette paille ?
Ils me répondirent comme la veille :
- Elle n'est pas battue.
C'est de beau blé.
Et nous partîmes.

Un mois plus tard, non loin de la Maison du Passeur, le 906 territorial barrait la route à l'ennemi qui tentait de rejoindre la mer. On attendait une attaque. La préparation d'artillerie était à son paroxysme. A chaque créneau, ferme comme le granit de son pays, un soldat limousin veillait. L'infernale pluie de fer et de feu semait la mort dans les tranchées françaises; vieux territoriaux limousins et jeunes marins bretons tombaient, mais les deux races identiques côte à côte dans la défense du sol est-ce bien le hasard ? sont parmi celles qui savent tenir !
Louis Codet entraîne sa section dans un mouvement en avant. Après le premier bond, à peine a-t-il rejoint le fossé où s'abritaient ses hommes, qu'un éclat d'obus lui fait une affreuse blessure au cou. Ses hommes, émus et secourables le couchent sous un petit toit de terre dans un coin du fossé; l'un d'eux met son pouce sur la plaie et le panse. Hélas ! les brancardiers ne viendront qu'à la nuit, cinq ou six heures plus tard.
A l'hôtel Frascati, hôpital-auxiliaire du Havre, les chirurgiens tentent plusieurs fois la suture de la carotide, mais épuisé par des hémorragies répétées, Louis Codet meurt le 27 décembre, près de deux mois après sa blessure.
Le 28 mai dernier, devant la maison des Codet, M. Jérôme Tharaud terminait ainsi son discours : Honorons, lisons les œuvres de Louis Codet. Depuis le temps lointain où un vieux chanoine de notre collégiale écrivait en latin une chronique de Saint-Junien, aucun écrivain n'était sorti de notre petite ville.
Saluons en Louis Codet le premier écrivain né sur notre terroir.
Admirons en lui un homme qui, par son œuvre pleine de fraîcheur, sa vie qui appartient tout entière à la jeunesse, et sa mort si noble et si courageuse, fait un très grand honneur à notre petite patrie.

J.-B. Faure


La Vie limousine, 25 juin 1933.


Louis Codet La Petite Chiquette. - Caluire, Sous le Sceau du Tabellion, 17,50 € Une recommandable réédition élaborée par Alain Chassagneux, à vous offrir, délicieuse façon de commencer l'année.)


Louis Codet César Capéran ou La tradition, suivi de Bibelots, Le tuilier de Finistret, Le père Léonard, L'archiduchesse. Préface de Jean-Baptiste Harang. illustrations de Benoît Preteseille . - P., La Table ronde, "La Petite Vermillon", 137 pages, 6,10 €

Sous le Sceau du Tabellion
31 route de Strasbourg
69300 Caluire
sceaudutabellionATgmail.com

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