Émile Danoën

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Instantanés : Émile Danoën

Émile Danoën me fait asseoir entre un violon et une raquette.
Je l’interroge :
— N’êtes-vous pas seulement romancier, mais musicien aussi, et sportif ?
L’auteur de ‘L’Heureuse aventure » remue d’un mouvement un peu enfantin sa tête osseuse de Breton.
— Sportif, oui, je le suis : tennis, football, camping ; je fais des kilomètres à vélo ; je pratique même l’auto-stop ! Et, le dimanche, je vais au Parc des Princes ou à Colombes... Musicien, ça, c’est une autre histoire. Durant l’occupation, j’étais à Marseille. Pas un sou en proche. Je fis alors la connaissance d’un vieux musicien que j’ai, plus tard, évoqué dans un petit bouquin : « Rue des Enfants-abandonnés ». Il était violoniste ambulant et se produisait dans les restaurants, dans les cafés. Je fis comme lui. Je me mis à jouer Quoi ? eh bien ! les airs à la mode, et « La Tosca », « Pensées d’automne », « Le temps des cerises ». Cela dura un an, un an et demi. Maintenant, je ne touche plus à mon violon, il gît là, toutes ses cordes cassées... — Et vous vous contentez d’écrire. — En réalité, je suis très paresseux. Surtout à Paris. Je travaille mal ici. C’est pourquoi, après-demain, je pars pour la Bretagne, à Mouëlan-sur-Mer, où demeure toute ma famille et où moi-même je suis né. Bien entendu, j’ai des projets magnifiques : le matin, j’écrirai un roman policier ; l’après-midi , un autre roman pour remettre debout un vieux quartier du Havre que je connaissais bien — un vieux quartier pas comme les autres et complètement rasé aujourd’hui, et le soir, je me mettrai à ce que j’appelle mon roman-ßranquignol. — Quelle diversité !
—En fait, non. J’ai toujours le même désir : raconter des histoires de gens simples, mais pas à la manière populiste. Je me refuse à mettre en branle l’artillerie lourde du réalisme social. Mes thèmes ne varient guère : ça part bien, puis surviennent des difficultés, après quoi, tout s’arrange.
— Dans votre dernier livre, « L’Heureuse Aventure », peut-on même parler de difficultés ? C’est là un livre tout uni, tout simple, et que j’ai beaucoup aimé. Un roman d’amour sans larmes, l’histoire, en somme, de ces gens heureux dont on dit, justement, qu’ils n’ont pas d’histoire. Pierre et Mélie m’ont fait songer aux deux héros du film de Jacques Becker, « Antoine et Antoinette ». — Ce rapprochement ne peut que me faire plaisir, mais je ne crois pas avoir été influencé par le film.
— Peut-être, c’est vrai, n’avez-vous eu qu’à puiser dans vos propres souvenirs. A une certaine liberté de ton, j’ai cru deviner que c’était votre vie que vous nous contiez.
— Oui et non. Il est exact, en effet, que j’ai rencontré ma femme au bal Bouscat et qu’elle est fonctionnaire, mais moi, en revanche, je n’ai jamais été bûcheron à Paris, quoique j’ai fait beaucoup de métiers. Et bien des détails sont imaginaires, je vous le promets. Non, voyez-vous, si j’ai écrit « L’Heureuse Aventure », c’est d’abord un peu pour réagir contre « La Queue à la pègre », mon précédent roman, mais c’est surtout parce que j’étais persuadé que mon histoire était, en réalité, celle de centaines de milliers de couples qui vivent et vieillissent sans drames et sans ruptures. D’ailleurs, beaucoup de ceux qui ont déjà lum mon livre m’assurent que je suis dans le vrai.
— Je les approuve. Et, à ce referendum, ajoutez un voix, si vous le voulez : la mienne.
Le voeu secret d’Emile Danoën est que son roman contribue à faire quelque peu reculer « le raz de marée de la littérature noire ». — Je n’ai rien contre Boris Vian, me dit-il mais je pense tout de même que mon histoire est aussi intéressante que les siennes.
— Vos lectures ?
— Je lis très rarement je n’en éprouve pas le besoin. Je crois n’avoir jamais acheté de livres. Une librairie, c’est un endroit où je n’entre jamais.
Émile Danoën écrira un jour pour le théâtre. Deux sujets de pièces mûrissent en lui. — J’ai déjà eu plusieurs contacts avec la scène, me confie-t-il. A Marseille, j’ai été régisseur sur un plateau et figurant dans une opérette dont la vedette était Fernandel. Je dansais, déguisé en Turc en Persan, en je ne sais quoi...
Mais, pour l’heure, c’est surtout à la Bretagne que son Emile Danoën, au petit port de Mouëlan, aux huîtres de Belon, à la côte sauvage, aux promenades en mer.
— Mon père était le meilleur sardinier de l’endroit. Souvent, je pense que s’il n’avait pas quitté le village pour Le Havre, s’il ne s’était pas brisé la jambe en tombant d’un mât, s’il n'était pas entré dans des bureaux maritimes et si, moi, il ne m’avait pas poussé jusqu’à l’Ecole Normale, eh bien ! j’aurais peut-être été marin aussi et je n’aurais jamais écrit.
Il rêve, mais nul regret ne fait trembler sa voix.


André Bourin
Nouvelles littéraires 1950

Né le 10 janvier 1920. Études au Havre ; surveillant dans une école supérieure, Critique littéraire par accident. Marié, deux fils. A publié Cerfs-volants, Rue des Enfants-Abandonnés et L’Aventure de Noël chez Vigneau ; Lignes blanches à la Bibliothèque Française ; La Queue à la pègre et enfin L’Heureuse Aventure chez Julliard.

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