Gabriel Maurière par Victor Margueritte

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Pages littéraires
A la gloire de la terre
Gabriel Maurière

Qu'est-ce qui a manqué au beau livre publié ces temps derniers par M. Gabriel Maurière, A la Gloire de la Terre (1), pour obtenir le même éclatant succès que d'autres romans terriens, — tels Nène d'Ernest Pérochon, prix Concourt, dont les Plon vendirent plus de 75.000 exemplaires, ou La Brière, d'A. de Chateaubriant) dont l'éditeur Bernard ,Grasset annonce que, depuis le prix de l'Académie Française 200.000 exemplaires (pas moinss comme on dit en Provence !) ont trouvé acheteurs ?
Le coup de gong d'une publicité tombant d'un tréteau analogue Et voilà tout.
A la Gloire de la Terre, publié par la librairie Floréal, n'a obtenu, qu'un des modestes prix décernés, au concours, par la vaillante Revue du même nom. Elle touche un public étendu, sérieux, de travailleurs et l'intellectuels, Elle ne touche pas Le grand public.
Et l'on sait que le grand' public, avec ses troupeaux panurgiens, ne se met en mouvement que lorsqu'un branle irrésistible lui est donné, par quelque fracassant appel.
Voilà, en vérité, ce qui. a manqué, cette fois encore, à Gabriel Maurière pour connaître les gros tirages que comme tant d'autres il mérite.
Il en est à son sixième ou septième roman de mœurs paysannes. (Je vous ai, à propos de l'un d'eux, Pamphile et Pompon, dit ce que je pensais de sa manière délicate et robuste. Il a donné également un roman de mœurs militaires, Au Burlingue, le roman des bureaux, où tout l'odieux du sabre apparaît, trempé de ridicule, dans le fourreau des encriers...
Il eût pu, avec la chance d'un concours commercial, un savant emploi de camaraderies, parvenir, à son tour, à sortir du cercle où tournent, dans le clair-obscur des réputations moyennes, tant de confrères excellents. Ils sont aussi capables de devenir membres des jurys distributeurs de coups de gong, ou directeurs des collections de romans littéraires, scientifiques, coloniaux, d'aventures, ou autres, que tels bénéficiaires plus heureux, ou plus adroits. Mais ils n'ont que du talent, et ignorent l'art de se servit de celui des autres.
Gabriel Maurière a cependant écrit, à la gloire de la terre, un roman digne d'être remarqué. Une intrigue bien nouée, une observation acérée des mœurs paysannes, le sens des beautés naturelles, une compréhension enfin de ce qui vaut la peine qu'on vive, non en pantin, mais en homme...
Jacques Tavers est le fils d'un fonctionnaire provincial revenu à la terre sur la fin de ses jours, et petit-fils de paysans qui ont, depuis la, Révolution, patiemment, tenacement constitué en Champagne un petit do- maine... Ainsi l'enfance de Jacques Tavers a grandi en même temps que les arbres de Galmurot, elle a, comme eux, poussé ses racines dans la stabilité -du sol natal...
Puis la jeunesse est venue, qui a transplanté l'adolescent dans les sables mouvants de ce Paris, dévorateurs de tant d'énergies dévoyées... Jacques Tavers, pourtant, avait réussi à s'y faire un petit nom d'écrivain, même à y édifier, tant bien que mal, un foyer... Mais la guerre, brutalement, a tout renversé... Les feuilles des livres ont tournoyé, demi-mortes, dans le vent de la tourmente. Les pierres du foyer ont été, du même coup, dispersées. Jacques Tavers avait épousé une de ces jeunes femmes que la guerre ploya, coucha, comme herbe folle.
Blessé, prisonnier, il passe en Suisse, dans une morne stupeur, la dernière année de la guerre. L'armistice le libère,, sans l'affranchir de sa maladie et de son malheur. Le divorce même ne le guérit pas... Alors ses amis, un soir, l'accompagnent à la gare. Le médecin a conseillé l'isolement, le repos. D'abord fuir Paris, ses sables devenus vase, où l'on s'enlise. Jacques Tavers s'en eztourne, meurtri à en mourir, vers la terre de son enfance. En reviendra-t-il ?
C'est sur ce point d'interrogation que le roman commence.
L'œuvre salubre du sol natal, le retour à la bonne terre, mère nourricière de l'effort quotidien, font la réponse que vous devinez.
Jacques Tavers guérit. Pas tout de suite, l'accoutumance est lente. Par deux fois il manque retomber au piège féminin ; d'abord la tentation, à laquelle il résiste, d'une belle et jeune réfugiée, fille de ferme pas farouche, mais dont le goût naturel du plaisir se complique d'assez âpres calculs. Au lieu d'épouser, comme sa mère le voudrait, quelque paysan voisin, pourquoi ne ferait-elle pas marcher le patron, encore jeune, et riche ?
Calculs déjoués, celui-ci s'étant aperçu du jeu. Passe à propos, en effet, avec d'anciens amis, une jeune comédienne naguère rencontrée à Paris... Va-t-il s'en éprendre ? Il se borne, heureusement, à la prendre... Mais, pas plus que la campagnarde, il sent que la mondaine n'est faite pour son bonheur.
Il n'aime plus, vraiment, que cette grande compagne fidèle, toujours changeante en apparence, au fond toujours égale : la Nature, conseillère de labeur et de force, mieux, dispensatrice d'énergie, — laquelle n'est autre que le, principe vital.
Jacques Tavers, se modelant au, pays, à son pays, finit même par en comprendre et par en aimer aussi les paysans. Cependant il n'a guère d'abord à s'en louer, leur hostilité naturelle contre le revenant parisien allant, avec l'aide de la fille de ferme déçue, jusqu'aux tentatives criminelles, au feu mis à ses bâtiments.
A la fin tout s'arrange. L'incendiaire présumé, et innocent, est relâché. Et cette méprise judiciaire est pour Jacques Tavers, j'allais écrire pour Gabriel Maurière (tant il y a identification de sentiments entre l'auteur et son héros) l'occasion d'un de ces savoureux tableaux de moeurs campagnardes, compliquées et retorses, où cet habile animateur des Terriens excelle.
Tout s'arrange, et, naturellement, comme il convient dans un roman consacré à la gloire de la Terre. Jacques épouse une fille du pays, une fine fleur champenoise. Ils seront heureux, et ils auront beaucoup d'enfants.
Sur cette trame sans doute simple, Gabriel Maurière a brodé une œuvre colorée, dont les fraîches couleurs ont le naturel de la vie. Une bonne odeur de santé physique et morale sort de ces pages, avec le fin parfum de la poésie locale. Et il y a aussi, qu'on ne saurait trop louer, une foi pitoyable dans la peine des hommes, un espoir dans la seule vraie religion d'hier,et de demain : le Travail.
Jugez-en par cette belle page :
Je vous connais et je vous aime, hommes de la maigre province pouilleuse qui vous mouvez lentement, ternes et gris sur le sol gris, comme si à l'endroit où vous êtes ce fût la terre même qui s'animât, hommes de la vaste plaine les chemins ne finissent pas, esclaves de la glèbe éternelle, paysans ! Vous vous levez au matin parmi les formes qui naissent du chaos nocturne. La lanterne s'allume au bout de votre bras et balance des ombres parmi les pailles et les bêtes. Alors celles-ci comprennent que l'heure du travail a sonné et qu’il faut obéir à la grande loi. Vous allez au pré, à la forêt où dorment les arbres qui demain reviendront, couchés sur les longs chariots, comme des soldats morts ; à la grange sonore où dans l'air gelé bourdonne la batteuse ; à l'étable fumante, à l'abreuvoir glacé. Et demain, vous recommencerez.
L'hiver passera. ; les neiges fuiront, comme honteuses d'être là, chassées par le soleil, crevées par les jeunes pousses qui veulent vivre, et vous irez dans la plaine qui se gonfle et chatoie ; au pré, bâillonner le ruisseau indocile, au verger discipliner la sève, au guéret, jeter les pépites du grain, et l'été disparaît à l'horizon avec ses charges de blé ruisselant des voitures, autour des meules et sur le3 aires, ave:- ses orges chevelus, ses avoines qui tremblent, et l'automne passera emportant les feuilles : l'hiver durcira la vase molle du marais ; une année s'est enfuie.
Alors, vous recommencerez...
Et d'autres années couleront et sur le même sillon, vous ferez les mêmes gestes ; leviers et marteaux humains, vous frapperez la glèbe afin que de son cœur jaillissent les mille étincelles de la floraison. Et dix ans, vingt ans, une vie entière, soixante étés, soixante automnes, soumis et ponctuels, vous recommencerez...
Quand votre vie sera finie, alors vos enfants prendront les jours comme vous les avez pris, pour les conduire du matin vers le soir, ainsi que des bêtes de labour, infatigables et lentes. Les durs, avec d'autres jours pareils, feront des mois et des années de peine humaine. Toute une vie semblable à la vôtre recommencera, et les grands événements — mariages, baptêmes, fêtes de village — ne troubleront pas le retour éternel de votre travail obstiné. Et des siècles de labeur passeront. Chaque jour, comme aujourd'hui, sans souci des morts, sans souci des vivants, le soleil glissera le long des sillons pour allumer les mêmes vitres au ras du. sol. Une Rose fera la soupe, un Simon tiendra la charrue ; l'un mourra par ci, l'autre naîtra par là. La terre vous emportera dans sa course éternelle pendant que, accrochés h ses flancs vous labourerez, vous sèmerez, vous vendangerez, vous courberez vos reins rossés vous userez vos ongles et, perpétuellement — vous recommencerez...
Pitié, conclut Gabriel Maurière, Pitié et Amour ! Deux mots émouvants sous lesquels il y a plus que des idées : un idéal.

Victor Margueritte

(1) Quillet édit. 1 vol., 6 fr. 75.



Le Peuple, 18 septembre 1923.


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Illustrations : Excelsior 25 août 1925 (liste des décorés de la Légion d’honneur) et La Vie en Champagne, n° 82, septembre 1960.


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