Le livre pourrait-il être écologique ?

EcoLivreWildSaSSO.jpg


La filière du livre est, en France aussi, un univers économique. Et celui-ci n’est pas, chez nous, remarquable par sa transparence ou son appétence pour les bons usages, c’est bien connu. Tenu par un capitalisme à l’ancienne, souvent devenu également financier, preuve de ses capacités d’adaptation, ce monde soi-disant policé a trouvé depuis plus d’un siècle dans l’Hexagone une arme imparable pour faire taire les contestations ou les interrogations trop précises : la crise obstinée qui sévit toujours depuis les années 1910 (rendez-vous compte !). Et lorsque la crise n’est pas un modèle d’explication utilisable (pas de crise de papier, de 1929, de guerre d’Irak sous la main, ou d’attentats terroristes, etc.), ce secteur économique — avant d’être esthétique ou culturel, rappelons-le — a développé une seconde parade formidable qui lui fait à l’instar de l’eumolpe se laisser tomber au sol pour faire le mort quand une ombre le touche alors qu’il est occupé à dévorer sa feuille de vigne. Cette parade seconde, c’est le sentimentalisme entretenu autour du « Livre », sentimentalisme développé par la plupart des vassaux du système, bons serviteurs lorsqu’il s'agit de masquer collectivement, et parfois involontairement, quelque réalité sordide. La filière française du livre n’est pas un modèle de vertu économique et sociale, c’est tout le contraire.
L’une des réalités peu reluisante du milieu est son absolu désintérêt pour la question écologique. (On se souvient par exemple des photographies qui ont circulé allègrement sur les réseaux sociaux montrant des palettes d’un ouvrage luttant résolument « contre le plastique » sous son paradoxal film plastique, dit "blister »). Et l’on ne parle pas non plus du chiffre d’affaire de la filière obtenu grâce à Amazon, etc. Bref, un rapport indiquait il y a moins d’un lustre que la filière de l’édition française coûtait chaque année 52 millions d’euros à la société française — et l’on n’est pas sûr du tout que toutes les subventions y étaient prises en compte. Aussi, avant de prétendre que la filière pourrait être, comme le pense l’Association pour l’Ecologie du livre, écologiquement vertueux, il vaut la peine d’ausculter le patient (1), ce que cette association a l’intention de faire, et c’est tout à son honneur.
Surproduction, destruction volontaire (pilonnage), gâchis divers, les travaux de l’association ont donné lieu à la publication d’un petit livre à la somptueuse couverture (un grossissement colorisé de fibres de papier). Il serait bon de le lire pour entamer, chacun, sa réflexion sur ce que devrait être à l’avenir les modes de production de cette filière dont la particularité est de mêler depuis bien longtemps l’industriel, l’artisanal et, mais oui, le bricolage individuel. C’est d’ailleurs tout son charme qu’il convient de souligner : la variété permet à la qualité de poindre son nez, c’est une vérité anthropologique. Du moins sur notre île.
Louable donc, cette initiative de l’Association pour l’Ecologie du livre qui s’attaque aux questions pertinentes que sont celles du papier, des plastiques, de l'impact carbone d’une filière tout entière. Ces questions trouvent dans le volume des éditions WildProject des éclaircissements car, « Avant que les institutionspubliques et les « gros joueurs » n’ajoutent une pastille verte ou un autocollant « bio » sur des livres, nous souhaitons proposer une autre démarche, une manière à la fois alternative et complexe de penser les liens entre l’écologie et le livre. » Naturellement, l’association utilise le terme d’écologie dans son acception la plus large.
Témoigne de cette démarche, un manifeste pour une nouvelle bibliothéconomie intégrant les ouvrages relatifs à l’écologie, et le descriptif des trois écologies du livre (matérielle, sociale, colportée) et un très intéressant entretien avec un forestier, Daniel Vallauri, chargé du programme Biodiversité des forêts pour le WWF France, institution qui a produit déjà deux études sur la auqestion éditoriale : Les Livres de la jungle. L’éditeur Jeunesse française abîme-t-ele les forêts ? (2018) et Vers une économique plus circulaire dans le livre ? (2019).
En somme, on le voit, si le secteur de l’édition se préoccupe peu d’écologie, l’écologie a l’édition dans son viseur.
Et l’on n’a pas encore abordé une question encore absente du présent volume, celle, inquiétante, des encres d’imprimerie — trois métaux lourds au moins pour mémoire — qui pèsent très lourd dans le fait que le recyclage est l’une des industries les plus pollluantes de notre civilisation...


Association pour l’Ecologie du Livre Le livre est-il écologique ? Matériels, artisans, fictions. — Marseille, WildProject, 2020, 112pages, 9 €


contact@ecologiedulivre.org
Librairie Le Rideau rouge (Anaïs Massola)
48, rue de Torcy 75018 Paris
06 84 61 95 27


(1) Lequel n’est, quoi qu’il en soit, absolument pas socialement vertueux puisqu’il a en toute discrétion versé dans l’uberisation de ses salariés depuis plusieurs lustres, bien avant toutes les autres filières économiques françaises. Si l’on n’évoque aujourd’hui que du malheur des seuls auteurs, on oublie les drames sociaux vécus par les lecteurs de manuscrits, préparateurs de copie, metteurs en page, correcteurs, graphistes, etc. Le lumpenproletariat existe dans la filière du Livre comme dans toutes les filières, et il faut souligner qu’aujourd’hui même les formations « aux métiers du livre », honteusement nombreuses, fabriquent pour l’industrie ce prolétariat, chaque année, en très grande quantité. Apparemment cela ne dérange personne.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : http://www.alamblog.com/index.php?trackback/4329

Haut de page