Clébert répond

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Voisin d’Henri Simon Faure à Oppède, Jean-Paul Clébert est une sorte de frère de Jacques Yonnet lorsqu’il croise dans les rues parisiennes. C’est un personnage de la haute époque Jakovski, Arnaud, Caradec et consorts, auteur, comme certains d’entre eux de la fameuse maison Denoël dans ces années 1950 où son catalogue . Lecteurs du Blockhaus comprendront...



J.-P. Clébert
Jean-Paul Clébert a écrit Paris insolite, La Vie sauvage et Le Blockhaus. Il travaille dans une chambre insolite, il est de tempérament assez sauvage et un blockhaus de mystère l’entoure. C’est un garçon jeune, mince et qu’effleurent de rapides sourires. Vagabond amoureux du métier d’écrire ou écrivain qu’attire l’école buissonnière, il se livre difficilement. Pourtant, je lui demande ce qu’il prépare en ce moment.
— Une anthologie des oeuvres de Verlaine, prose et poésie.
— Comment as-tu fait ton choix ?
— Je choisis ce qu’il y a de plus violent.
— Est-ce que tu prépares autre chose ?
— Oui. Je finis mon livre sur l’Asie, en particulier sur les Indes. Ce n’est pas un récit de voyage, c’est assez impersonnel. Un document visuel sur les Indes modernes, avec tout le fantastique de l’Inde classique. J’aimerais faire quelque chose comme Un barbare en Asie, de Michaux... en moins bon, ajoute-t-il avec humilité.
J’ai lu Paris insolite. L’Asie insolite ne risque pas de décevoir.
— Et que racontes-tu sur les Indes ?
— Je parle des 250.000 mendiants de Calcutta qui sont syndiqués, de la fabrication des monstres humains pour la mendicité organisée. On prend enfants à qui on coupe les bras ou les jambes et on les expose devant les grands hôtels.
Je lui fais répéter.
— Je parle aussi au monde fantastique des temples où sont installées des buvettes...
— On y pratique encore le culte, dans ces temples ?
— Bien sûr. Tiens, regarde la déesse Kali. C’est la déesse de la destruction, de la violence. Elle est toujours noire, c’est Satan femme. Elle piétine son mari qu’elle vient de tuer.
Je tiens dans ma main les statuettes polychromes. La harpie tire une langue rouge et ses bras multiples brandissent des poignards. Le mari est allongé sur une planchette. Il fait pitié.
C’est plein de jouets populaires, chez Clébert : il y a, en papier de lampion bleu et blanc, un crocodile ramené de Calcutta, un coq chinois, des masques de théâtre japonais en bois peint de vives couleurs.
— Elle est affreuse, ta déesse.
—Je vais t’en montrer d’autres, Sophia Loren en personne.
Il me tend des photos : sculptées dans la pierre, ce sont des déesses aux formes extrêmement provocantes.
— Si la Sainte Vierge était ainsi, dit-il avec une pointe de regret.
— Et de quoi parles-tu encore ?
— Du Japon américanisé, du strip-tease, de la gigantesque prostitution, des camps de réfugiés du Pakistant.
— Combien de temps a duré ton voyage, et où as-tu été ?
— Le voyage a duré six mois : Djibouti, Aden, Karatchi, Delhi, Calcutta, Singapour, Saïgon, Hong-Kong, Macao, Manille, Tokio.
— Tu n’as rien d’autre en cours de travail ?
— Si. Je prépare un livre sur les Gitans, un documentaire avec des photos d’archives. J’y parle de leurs origines, de leur histoire, de leur apparition en Europe, de leurs moeurs et coutumes anciennes et modernes, des rites de mariage, d’enterrement, de cuisine.
— De cuisine ?
— Le hérisson cuit dans la terre, par exemple.
— Je pense que tes travaux s’arrêtent là ! — Non. Je termine un bouquin sur les monstres mythologiques créés par l’imagination de l’homme, avec les symbolismes que ça représente. Ca touche à tout : à l’histoire, à la peinture, à la psychanalyse. J’ai commencé aussi un roman et je fais un texte sur la Provence avec des photos d’un photographe local.
Il m’invite à le suivre dnas la cuisine. Des légumes cuisent sur le réchaud à gaz. Célbert coupe des côtelettes de porc en petits morceaux. Puis il jette du sucre dans une poêle.
— Que fais-tu ?
— Un plat chinois. On sert la viande quand elle est caramélisée. J’espère que vous aimerez tous ça.
— Et ça, qu’est-ce que c’est ?
— Des algues chinoises.
— Tu vis tout le temps à Paris ?
— Non, deux mois par an. Le reste du temps, je suis installé dasnun mas en Haute-Provence. Une vieille ferme dans la caillasse. J’y vis en sauvage, je passe mon temps avec des Gitans, des bergers, je ramasse des fossiles. J’en ai assez, de Paris et des bistros.

Interview recueillie par Lella Arnaud.





Les Lettres françaises, 17-25 janvier 1957
Illustration : Nouvelles littéraires, 1956

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