N'est-ce pas merveilleux d'être unique ?

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C’est en chemise sans col ceinturée à la mode de Tolstoï qu’Anne Serre imagine un été tout en or, tout juste avant le cataclysme... Son recueil de nouvelles, ''Au coeur d’un été tout en or’’, vient d'obtenir le prix Goncourt de la nouvelle, signe inattendu que tout espoir n’est jamais perdu. Ce livre, qui manifeste une netteté et un rythme sans pareils dans l’oeuvre de la romancière méritait d’être distingué. Et le vieux jury est tombé dessus — aux innocents les mains pleines... — ce qui réjouit évidemment les lecteurs assidus et libraires convaincus.
Il ne sera pas difficile de faire l’article du recueil ; il opte pour une forme que l’on pourra nommer la « nouvelle en trois pages » pour glisser le long de la barbichette de Félix Fénéon. Et depuis celui-ci et depuis Max Aub on sait combien il est possible de dire dans un court espace. Dans ces trois pages Anne Serre met beaucoup d’interrogations, de doutes, de retour sur soi, de malices du destin et de ces petites cruautés que l’on adore chez les romancières anglaises.
Ausculant les failles de la logique dans les destins personnels, ces petits moments de doute ou d’illuminations explicatives, elle nous sert des tranches de personnages dont on saisit beaucoup en peu de mots. C’est tout le charme de la nouvelle, ici joueuses et fertiles, incorporant parfois le rêve à la réalité éditoriale (un projet assassin contre un éditeur suisse en particulier), et de multiples références littéraires — puisqu’elle a serti des citations de ses livres de chevet en ses pages.
Apothéose d’un auteur ? ça ne serait pas étonnant du tout puisque l’ensemble pourrait être lu et relu souvent à la recherche d’un détail négligé ou d’une citation perdue. Depuis qu’elle nous surprend (et il n’est pas besoin de rappeler Petite table, soyez mise aux amateurs), Anne Serre continue sur son excellente voie.

Si j’étais seule dans une ville de province à dîner d’une omelette dans la dernière brasserie ouverte, tous les fous de la ville quittaient leurs maisons et descendaient les rues pour venir vers moi. J’étais comme une lampe pour eux. Mais j’ai eu de nombreuses conversations avec ces fous, où, du point de vue de l’équilibre, je dominais bien sûr, qui m’ont intéressée. j’ai pu prendre, grâce à eux, la mesure de la solitude, mais aussi la mesure de quelque chose d’autre, de très précieux, que je ne vous dirai pas, car vous ne le méritez pas.






Anne Serre Au coeur d’un été tout en or. — Paris, Mercure de France, 2020, 144 pages, 14,80 €



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