Pierre Scize 1924

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Pierre Scize

Il y a douze ans, un garçon puissant et sonore, qui était ouvrier à Lyon, voulut se faire tragédien. Il avait, pour cet état, toutes les dispositions fors une : il était intelligent. Il alla tout de même à Paris où il reçut les leçons d'une illustre machine à pomper et à refouler les alexandrins. Il allait, sur la scène du Conservatoire, faire une apparition pathétique et, sans doute, décrocher l'accessit fatal, lorsque la vraie tragédie ommença.
Pierre Seize devint soldat de deuxième classe. Quelques semaines plus tard, il y avait à Lyon un mutilé, médaillé militaire, héros désabusé et réfléchi qui, cinq années durant, ne Cessa de songer aux souffrances des autres, de ceux qu'il avait laissés îà-bas. Nul, jamais, ne l'entendit se plaindre.
Enfin, la paix ! Pas celle d'Herriot, celle de ceux qui disaient aux soldats : « Vous avez des droits sur nous ! »
et leur donnèrent un casque, cinquante-deux francs, la vie chère, et une préface de feu Léon Bérard. Qu'allait devenir, parmi les hommes, cet artiste blessé ?
Il alla voir un journaliste et lui dit :
— Je voudrais gagner mon pain.
— En écrivant ?
— Je veux essayer.
Essayer, le mot a été dit. Pierre Seize essaya. Je ne sais si l'on vit souvent, dans notre profession, de ces essais en coups de maître. Du jour au lendemain, Pierre Seize fut un journaliste parisien, classé, connu, demandé.
Son premier rédacteur en chef, Robert de Jouvenel, qui s'y connaissait, considérait ce début avec stupeur :
— Ah l le bougre, dit-il, il invente notre géométrie !
Depuis ce temps, presque lointain, Pierre Seize, en vrai Lyonnais, a fait, à pas comptés, solidement et tranquillement son chemin. Il est devenu rédacteur en chef de Paris-Journal. Il y mène de rudes combats sans rien perdre d'un sourire où notre Gassier s'est plu à retrouver, en un fameux dessin, la bonhomie et la finesse de Jérôme Coignard.
Cette enveloppe ecclésiastique renferme le coeur le plus. aventureux.
Scize est un pèlerin du spectacle, un de ces gaillards qui passent volontiers un mois en chemin de fer ou en paquebot, pour voir quelque chose sous un ciel inconnu et s'en retourner le jour même, sans déranger l'aubergiste. Il est, selon moi, le type du reporter-né. Quelqu'un l'a compris : c'est Henri Duvernois, le plus sagace des aînés, le plus lucide des trouveurs de talent pour les Œuvres Libres.
Il fit voyager Pierre Scize. De ses courses, notre voyageur rapporta trois récits parfaitement admirables : Europe ma voisine. Aux Vendanges de Bourgogne et Fêtes d'Art à Orange.
Ce sont des pages colorées et rêveuses, marquées parfois d'un humour profond et par dessus tout remplies de cet inimitable mouvement que donnent aux mots l'ivresse du spectacle et l'amour de la vie.
Grand reporter, Pierre Seize l'est, du consentement même de ses pairs et de ses anciens. Cela présage un romancier de classe. En attendant, il tient sa place parmi les Naudeau, les Latzarus, les Pierre Miile, les Helsey, les Jean Piot, les Tudesq, les Albert Londres. Je ne ferai point d'autre éloge d'un homme que je chéris assez pour le considérer un peu comme mon frère, un peu comme mon fils.

Henri Béraud


Paris Journal, 26 septembre 1924


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