Nekrassov, combattant et badaud

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Les trois grands livres de Viktor Nekrassov (1911-1987) sont réunis en un volume par les éditions Louison. Il serait ballot de s'en passer (1).
Dans les tranchées de Stalingrad, le récit de ses combats (Prix Staline 1946), le roman La Ville natale, et les plus tardifs Carnets d'un badaud rendent à Nekrassov l'occasion d'être lu et relu. Natif de Kiev, il avait fui le régime communiste et s'était installé en 1974 à Gentilly, où il avait poursuivi son oeuvre.
Dans ses Carnets d'un badaud, il avait établi ce qu'était pour lui un véritable badaud. La leçon vaut toujours.

Je prends résolument la défense du badaud et je proteste avec énergie contre le parti pris et le ton méprisant adoptés à son égard par Ouchakov et les auteurs du dictionnaire de l'Académie. Un nigaud, un fainéant et un écervelé, c'est un nigraud, un fainéant et un écervelé - ce n'est pas un badaud. Un badaud, c'est effectivement quelqu'un qui écarquille les yeux devant quelque chose ou qui s'absorbe dans la contemplation d'un spectacle. Mais pourquoi diable avec une curiosité bornée ? La curiosité est-elle toujours bornée ? "Sans but" ? Admettons. Admettons que, pour une fois, vous ne soyez pas pressé : vous "écarquillez les yeux", vous traînez. Les gens qui n'en ont pas le temps c'est ce qu'ils prétendent. Nous, nous ajouterions : "ni l'envie") disent en vous regardant : "C'est un désoeuvré, il baye aux corneilles. " Mais on pourrait en dire autant de tel vieux monsieur, apparemment un peu timbré, qui n'a rien de mieux à faire que de courir après les papillons avec son petit filet, et qui se trouver être un entomologiste renommé, ou de quelqu'un quoi voit suivre d'un regard "borné" le vol des mouettes, et qui n'est autre qu'un éminent spécialiste du vol à voile.
De nos jours, la vie est comme ça : l'individu moyen, le monsieur comme les autres, n'a jamais le temps d'écarquiller les yeux et de s'attarder devant un spectacle : il est toujours occupé. Sinon, dans la meilleure hypothèse, il lit, il va au théâtre, il fait du sport ; au pire, il regarde la télé, sermonne ses enfants, ou boit. Faire le badaud, c'est-à-dire, selon lui, être un fainéant, celan, bien sûr, il n'en a pas le loisir, ni du reste l'envie. Les badaus, il est méprise. Quant à moi, non seulement je ne les méprise pas, mais je prends leur défense et j'affirme qu'il faut être un badaud, c'est-à-dire un homme qui, comme l'écrit Gracchine, "pour rien au monde ne renoncerait à un spectacle intéressant." (...)


Viktor Nekrassov Dans les tranchées de Stalingrad. La Ville natale. Carnets d'un badaud. - Paris, Editions Louison, 571 pages, 25 €



(1) Quand bien même le choix éditorial et graphique d'une couverture sans dos et, surtout, de plats en carton amoureux de toute forme d'humidité et de graisse (y compris celles des doigts propres qui se trouvent tout de même destinés à tenir l'ouvrage) ne soit pas des plus heureux. A une date assez reculée maintenant on avait inventé la "couverture" pour éviter ça. Zéro pointé au graphiste snob et au fabricant idiot.

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