Prophylaxie de la poésie

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Tourné vers la double quête de la gloire et de l'oubli, Poète né est un curieux ouvrage que nous sert Christophe Esnault. Drôle et grinçant, il rejoint la nuée de textes décrivant les aspirations du Poète, figure qui traverse les époques sans jamais subir les décolorations qui ont javellisé la grisette ou le rentier. Il y a peu, un très beau collier de poètes a justement été composé par le gourmet Grégory Haleux, qui taquine la muse lui-même. Il a passé à la brochette des nouvelles des temps anciens dont la figure centrale est le poète et ses manies la trame essentielle. Le genre est pléthorique, pensez, il encombre toute la bibliographie et la presse du XIXe siècle. L'ensemble qui pourrait se multiplier encore sans déplaisir était acide et touchant même devant ses reproductions d’un type que l'épistolier, prosateur et poète Christophe Esnault nous rend quasi à l’identique. C'est grâce aux créateurs et trices observés sur les comptes "x, auteur" qui foisonnent sur les sites relationnels du Big Net que s’est dessinée une nouvelle incarnation de l'aède en ses affres, plaisirs et odieusetés, puisque toujours la vie va.

Être valorisé dans sa condition de poète, la quête est là, rien d’autre n’a véritablement d’importance pour le poète, que son existence soit d’une misère affective incommensurable et d’une vacuité sidérale, il réussira à ne pas l’admettre pour continuer à se raconter cette histoire hilarante : il a une écriture.

Composite et paradoxal, alternant les "petits faits vrais » du poète observé dans sa vie quotidienne de "grand poète" à peu près raté attendant sans fin une reconnaissance qui ne viendra pas, et des poèmes qui disent le violent désir de l’effacement de toutes traces du créateur - jusqu'à son nom sur sa tombe ! - Poète né est un livre qui se déguste comme un bonbon au subtil bien que poivré. On est loin des jeunes Gide et Valéry, mais on ne peut s’empêcher d'en deviner l'esprit, celui de Paludes en particulier.
Quelques fragments pour la bonne bouche :

Au collège déjà le poète distribuait à ses petites camarades des pliages sous lesquels logeait un poème. Il leur ordonnait de le stocker dans leur culotter jusqu'à le déballer dans un lieu intimiste, quand elle seront selon et bientôt moites.


Souvent le poète pense à sa propre mort, mais il est certain qu'elle aura beaucoup d'écho du côté des médias et qu'il fera à titre posthume son entrée dans la collection Poésie/Gallimard", il ne peut pas en être autrement sinon à quoi aurait rimé sa vie.


Le poète a parfois deux muses : son pilulier et sa psychose.


Si le poète est en séance de dédicace à la librairie L'Ecume des pages et entouré de quarante personnes, c'est un rêve et il va se réveiller déçu.


De toutes les causes humanistes le poète veut en être et poser son nom et un texte quelque part.


Si la dernière citation fait surtout penser à BHL, il est des stratégies commerciales et sentimentales, des trucs esthétiques et des réflexes d'histrion qui habitent le poète. D'ailleurs, d'autres l'ont déjà dit :

Le poète sait à tout moment et en toute circonstance être le VRP de lui-même.


En contrepoint, des poèmes consacre l’effacement comme un graal. Ils apportent un air différent, comme un chant bas, une note lointaine qui fait bourdon.

Travailler sans relâche
A refuse de parvenir
Le labeur mental
Qui sied à la distance
Jusqu'à ce qu'on nous nomme
Le Désisté


Tendre, exorbitant, plein d'un grotesque parfois grinçant, la créature de Christophe Esnault finirait par être attachante. Car il est vraiment désarmant le "poète né d'Esnault" (on note l’allitération, merci). Et naturellement on vous le recommande afin que vous transmettiez l’information à celles et ceux, qui, n’ayant pas encore compris, se promettent le même destin de frustration ou de poussière mais aussi, et c’set beau, d’obstination et de conviction. Cet aperçu devrait faire réfléchir ceux qui, justement, hésitent avant de braver les us petits-bourgeois, moyens-bourgeois et grands-bourgeois.

Sous cadre de verre est conservée une lettre manuscrite où Maurice Nadeau dit du poète qu'il devrait exploiter cet excès de médiocrité pour en faire quelque chose, pour peu que cela ne soit pas dans le domaine littéraire et poétique.


Un opus prophylactique donc, et en voici la preuve :

Parfois le poète écrit sur l'innommable cruauté des hommes à renfort de descriptions sordides, de surenchère d'atrocités ou de dénonciations poussives, mais le poète ne sait pas que seul l'amour et le rire sont subversifs.




Christophe Esnault Poète né. Enrichi d'une photographie d'Aurélia Bécuwe du Poète né "en Chateaubriand" jaugeant l'océan ("Je te salue vieil océan") - Paris, Éditions Conspiration, 12 rue Théophile Roussel 75012 Paris, 60 pages, 14 €


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