Kyrou futurologue

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Excellente nouvelle que celle de la cristallisation des travaux d’Ariel Kyrou, fils de l'Ado Kyrou cinématographique, en bon et fort livre consacré à l’avenir et à ses prémices catastrophiques.
Ariel Kyrou est ce que l’on peut nommer un futurologue. Il se présente comme un agitateur, ce qu’il est aussi, du point de vue des idées. Lecteur tout terrain, il s’intéresse à l’avenir, et en particulier à l’effet que provoque cet avenir sur nos esprits. Des questions qui mêlent technologie et sagesse politique, fonctionnement anthropologique et règles sociologiques, mutations humaines et industrielles, évocations artistiques des angoisses collectives, etc.
Est-ce qu'il n'est pas temps de réfléchir lorsque la maison sent le brûlé ?
Auteur d’une dizaine d’essais sur le travail (avec Bernard Stiegler), les paranofictions - coucou la théorie du complot - ou Philip K. Dick, Ariel Kyrou est à même de sentir, saisir et concevoir les différentes faces du polyèdre Futur parce qu’il a beaucoup lu et beaucoup croisé, beaucoup comparé. C’est le fruit de cette activité qu’il nous livre sous forme d’analyses pointues et très lisibles dans son ouvrage qui devrait plaire : Comment, se demande-t-il les fictions contiennent des éléments de réflexion pour les temps à venir ? Contiennent-elles aussi des solutions, des pistes, formulent des hypothèses qui vont nous servir, malgré la cagade et le déceptif bagage que nous ont mis sur les épaules les Trente Glorieuses - ah oui, glorieuses...
Au début de l’année, le spécialiste du genre SF Jean-Pierre Andrevon avait signé déjà une Anthologie des Dystopies. Les mondes indésirables de la littérature et du cinéma (Vendémiaire, 2020). Son essai, qui se limitait au pire, témoignait sans véritable surprise d'une approche basée sur un matériau et des problématiques très anglo-saxonnes et sur les catégories classiques du sujet. Un peu plus tôt, Jean-Paul Engélibert avait proposé Fabuler la fin du monde. La puissance critique des fictions d’apocalypse (La Découverte, 2019). On ne peut pas ne pas voir que la question est d’époque, centrale.
Avec Ariel Kyrou, le lecteur doit s’attendre à être déstabilisé : voici d’autres futurs, pas forcément très gais non plus, il ne faut pas s’illusionner, mais traités avec une humeur de poète parfois, qui voit dans les futurs qu’il déploie des formes et des figures à retenir. Car, oui, la littérature peut se coltiner des sujets plus complexes que la mort d’un proche ou l’effacement d’un amour, et c’est justement lorsqu’elle touche à l’universel qu’elle est la plus puissante (cf. Deleuze il y a quelques jours sur nos ondes).
Co-rédacteur de la revue Multitudes et directeur éditorial du Laboratoire des solidarités de la Fondation Cognacq-Jay, Kyrou a beaucoup d’atouts pour tenter la synthèse des difficultés économico-écologiques et technologiques présentes saisies à travers leurs échos culturels. L’objet de son livre est le suivant : comment séries et romans, œuvres de toutes sortes offrent des pistes ou des visions non conformes, susceptibles de nous éclairer et de nous propulser sur des voies bénéfiques. Avec un corpus à jour et des notions renouvelées, on n’évite évidemment pas les "séries", mais on découvre avec plaisir chez Kyrou des créateurs inattendus, comme Jean Perdrizet, généralement tenus hors-champ par les tenants de la Sf. On retrouve aussi avec plaisir Céline Minard et son ''Dernier Monde'’ (Denoël, 2007 ; « Folio », 2009) :

Ne pas tout dire, ne pas tout expliquer de ce qui nous tombe du ciel ouvre paradoxalement le champ au sens, et parfois à la poésie.
Le Dernier monde de Céline Minard est un modèle en la matière. Le roman débute dans une station spatiale (...) Cette fin du monde semble un simple rêve ni bon ni mauvais. Comme une antithèse de l’enfer de La Route de Cormac McCarthy. »

En somme, et c’est bien le mot qui convient, Kyrou a cherché, fouiné, exploré des massifs arborés parfois touffus comme la littérature générale contemporaine en compte quelques-uns (o tempora, o mores) et des domaines délicats comme celui de l’art brut où l’on s’exprime beaucoup plus qu'on ne l’imagine généralement, pour proposer in fine « sept figures fantastiques pour réinventer le réel comme fiction ». Dès lors, parlent d’une seule voix un cavalcadeur à sept pattes de Mars, dessinateurs et scientifiques (Hervé le Guyader et Moebius formulant le voeu d’"éducation générale utopique"), les furtifs terrestres, les appartements hantés de vampires capitalistes, une sculpture de CO2, un loop souterrain atelier d'expérimentations, un bébé dormeur et Wub le cochon connecté, personnages dont l’intérêt est de nous donner à imaginer notre réalité comme une fiction amendable.
Une aide à la décision fictionnelle en quelque sorte, qui montrera à coup sûr que le soin des constantes biologiques et géologiques de la planète sont des contraintes hautement exigeantes qu’on serait sots de ne pas tenir pour vitales.
Curieux d’avenirs, voilà un livre pour vous.


Ariel Kyrou Dans les imaginaires du futur. ENtre fins du monde, IA, virus et exploration spatiale. In-face d’Alain Damasio. — ActuSf, coll. « Les Trois Souhaits », 622 pages, 21,90 € En librairie le 16 octobre.


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