Que faisiez-vous en 1884 ?

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Avec 1884, une année française, VIncent Wackenheim s'occupe à un genre qu'affectionnent les plus historiens des littéraires : la tranche temporelle. On se souvient peut-être du 1er janvier 1900 d'Arthur Conte (Plon, 1975), de 1913, chronique d'un monde de Florian Illies (Piranha, 2014) qui fonctionnent comme une plongée dans le Quid — les plus jeunes ne se souviennent sans doute pas de ce wikipédia d'avant internet. On choisit une année et on y plonge à pleines mains, ramenant fil par fil la trame des douze mois.
En fonction de la période choisie, le gâteau est plus ou moins truffé, mais il est toujours marbré et grâce aux ressources inouïes des ouvrages de référence, des mémoires, des diaires publiés et d'internet — en particulier de Gallica pour la presse de la sphère francophone (avec son calendrier de consultation de la presse notamment) —, il permet d'avoir au jour le jour une idée follement précise de l'activité humaine du temps : Bateaux au départ et bateaux coulés, horaires des trains prévus, trains percutés, meurtres, menus faits, faits divers même en été, prix des salaisons, questions sociales en cours de discussion, état des logements, visites protocolaires, vie politique, propositions modernes des uns, réactionnaires des autres, soutien aux viticulteurs (une constante), du bourrage de crâne (buvez du vin, c'est bon pour la santé), des publicités pour des sous-vêtements radioactifs (mais oui), les petites comédiennes sans histoire, les histoires des petites comédiennes peu paisibles, etc. On a la vie sociale et politique qu'on a. Vincent Wackenheim a choisi 1884. C'est 1984 moins 100. les contraintes du jeu : ne prendre que des sources d'époque, ne pas interpréter avec des données postérieures, traiter mois par mois. On en revient tout à fait au Quid : en 1884 comme en 14, et en 14 comme en 21. Et comme en 21, il y a en 84 l'épidémie : ce bon vieux choléra qui nous rend cette année 1884 bien familière. Wackenheim, qui a fait feu de tout bois pour monter son chalet historique, relate notamment l'inquiétude de Marie Bashkirtseff exprimée dans son journal à ce propos :

"Ce sont ces infâmes canailles d'Anglais pour des intérêts d'argent font mourir des milliers d'hommes."

N'est-ce pas amusant de constater que l'être humain guère ne change ? (Toute proportion gardée, Marie B. ressemble là à un écrivain bourgeois du VIe arrondissement de Paris parlant des Gilets jaunes.)
En 1884, il y a aussi le chômage, la création des bataillons scolaires (avec copie des fusils Gras) qui emboucanent les tympans de toute la bonne ville de Lyon de leurs trompettes — il fallait y penser avant... —, Zola publie en feuilleton son Germinal, on boucle le viaduc de Garabit — il a alors un remarquable gabarit —, une "petite révision constitutionnelle occupe les représentants du peuple et on se bat contre les Pavillons-noirs au Tonkin. Et puis encore naissance de Paulhan, publication d'A rebours, syndicats professionnels, etc. Tout ça n'est pas rien.
Mais pour mémoire, et c'est sans doute le plus important, c'est le 22 février 1884 que le préfet Poubelle formalise l'utilisation de boîtes en métal pour le recueil des ordures. Naturellement, les propriétaires manifestent leur désaccord. Les Nouvelles histoires du colonel Ramollot de Charles Leroy ont-elles apaisé ces "s'crognieugnieu" ? Mais sur ce point Wackenheim reste coi.


P.S. V. Wackenheim est aussi l'auteur d'un livre paru à l'Atelier contemporain dernièrement. Nous y reviendrons.

VIncent Wackenheim. 1884, une année française. — Paris, Plein jour, 400 pages, 19 euros

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