La tourière du grand garage

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Ecrivain du peuple laborieux, continuateur des frères Bonneff, Jean Pallu n'avait pas laissé grand trace avant que les éditions La Thébaïde et On Verra Bien ne s'emparent de quelques proses qu'il a publié entre 1931 et 1936 grâce au travail de Jean-Luc Martinet. La double réédition récente de Port d'escale, puis de La Créole du Central Garage aux éditions On Verra BIen pousse aux lectures/relectures et à une plongée dans les mémorables pages des nouvelles de L'Usine (Rieder, 1931 ; La Thébaïde, 2018).
Au moment où Pallu obtint le Prix Populiste, Comoedia (1er juin 1932) traça son pedigree :

M. Jean Pallu, de son vrai nom Pierre Passeriau (sic), est né dans la Loire, le 22 septembre 1898. Il fait la guerre, d'où il revient lieutenant, avec la Croix de guerre. Puis il travaille dans des entreprises industrielles de la région lyonnaise ; usines de métallurgie, vie d'atelier. Il s'en souviendra en écrivant son premier livre, un recueil de nouvelles vivantes et fortes : L Usine.
En 1928, il part; pour l'Amérique du Sud Où il reste deux ans comme représentant d'une maison française de pneus.
Actuellement, il est employé dans une agence d'automobiles de Marseille. Il a trois autres livres sur le chantier : Le Loch, Marées et Beaudry Frères (...)

Personnage énigmatique (né le 22 septembre 1898 à Izieux, mort le 4 mai 1975 à Lyon), Petrus Jean Passeneau fut un vivant accompli, voyageur, changeant personnage, un de ces types que le milieu du XXe siècle autorisait, et tel qu'on les découvre dans les récits de Pierre Boulle, dans le cinéma d'alors, à ceci près qu'il était aussi homme de plume.
Théo Varlet lui-même l'avait constaté dans L'Esprit français du 12 janvier 1931 :

Je ne sais si M. Jean Pallu sacrifie à la mode en faisant du roman « populiste », mais il est en train de redécouvrir le roman naturaliste. Il redécouvre donc aussi que l'art littéraire exige non seulement la passion d'un sujet, d'un milieu à observer, mais l'amour de Part pour lui-même, / qui nous rend témoins fervents de toutes choses et désireux de les exprimer en force et en beauté.
Port-d'Escale, c'est l'histoire d'une petite usine, moderne mais où règne une atmosphère de routine paisible, brusquement troublée par l'intrusion d'un homme qui revient des pays de l'Aventure. La magie opère : en chacun de ceux qui l'écoutent une chaîne est rompue et les rêves de tous, chacun suivant sa loi, s'évadent de la passivité des jours, vers un mirage de liberté... jusqu'à ce que l'homme reparte, ayant ressaisi son destin... Et le groupe se retrouve dans la vieille paix coutumière...
M. Jean Pallu nous avait donné dans l'Usine une manière de petit chef-d'oeuvre, avec ces contes d'observation, morceaux complets, ramassés, d'un art spontané mais réel et fort. Son roman Port-d'Escale est remarquable, certes, mais ne réalise pas toutes les espérances que ce début avait fait concevoir. S'est-il lancé trop vite dans le roman ? Sa vraie vocation est-elle dans le conte ? Toujours est-il que son roman, bien commencé, faiblit quand il entre dans l'ère des mariages (on dirait presque, là, un roman à thèse repopulatriçe !) et ne se relève qu'à la fin, quand l'usine reprend sa routine... Mais celle-ci. on sent qu'il l'a bien sentie et observée; et c'est peut-être l'excellence rare de cette partie qui fait trouver un peu inférieure les autres... — Théo VARLET.

En 1954, André Dhôtel lui rendra à son tour un hommage discret dans Le Maître de pension (Grasset) :

— Tu savais que Jean Pallu était parti avant-hier de chez moi ? demanda soudain Romeyre.
— Qui c’est, Jean Pallu ?
— Un type comme toi. Il avait dix-neuf ans. C’est pour cela qu’il est parti. Il va entrer dans une usine.


Et si tout cela ne venait pas allécher l'Alamblogonaute, voici encore un fragment qui rappellera plus encore Aubervilliers de ce cher Bonneff...

Tous venaient d'une banlieue triste e maisons crasseuses, d'usines fumantes et de terrains vagues couverts de détritus, d'où il s’échappaient le matin, régulièrement, pour y revenir le soir, régulièrement, comme le chien retourne à sa niche. Après le boulot ils mangeaient la soupe dans des pièces étroites et sombres, parmi les coups de gueule du vieux, les geignements de la femme, les perpétuelles criailleries des gosses. Puis ils se couchaient sitôt avalée la dernière gorgée de vin pour économiser la lumière. Chaque jour ils s'entassaient sur les plate-formes des tramways ouvriers à tarif réduit, s'accrochaient aux marchepieds et aux tampons, en grappes humaines, traversaient la ville aux murs lépreux, sous le perpétuel brouillard, la pluie, la fumée épaisse des aciéries, la lourde odeur de suie, de soufre, de goudron, d'huile, l'irritant appel des sirènes.


Dans ce roman de la vie quotidienne d'un garage pour camion, il ne manque plus que la fille de gardien, une magnifique gamine d'Amérique du Sud qui électrisent les hommes. Dès lors qu'elle disparaît, la vie n'a plus le même goût... Particulièrement doué pour rendre le quotidien des gens de métiers (qu'il pratiquait), Pallu rappelle aussi dans certaines de ses pages d'Un matin au bureau (1954) d'Edgar Mittelholzer : un brin d'ennui dans une routine acceptée, des gestes répétés sous l'impulsion d'une logique imparable et d'un sens de la nécessité et de l'économie - celui qui, alors, préservaient avec sagesse l'outil -, qui pourraient sans doute, guider un peu plus nos gestes.
Au monde du travail, ces victimes consentantes...



Jean Pallu La Créole du Central Garage. - Limoges, On verra bien, 2022, 212 pages, 19 €
Jean Pallu Port d'Escale Préface de Jean-Luc Martinet. - Limoges, On verra bien, 2021, 198 pages, 19 €
Jean Pallu L'Usine. Edition augmentée établie par Emmanuel Bluteau. Postface de Jean-Luc Martinet. - Le Raincy, La Thébaïde, 2018, 203 pages, 18 €


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