Lucidité Perspicacité Révolte

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Délaissant décidément la veine fantastique qui lui était familière, Eric Faye s'attaque à la vie d'entreprise à travers une fable grise : un journaliste assiste à la désagrégation de son agence de presse et en détaille les épisodes de la ruine lente orchestrée par des actionnaires d'outre-Atlantique. Ou, pour contredire ce cornichon qui nous sert de leader maximo, va voir sur le trottoir d'en face si j'y suis.
Management ultralibéral et pressions de l'Etat qui préfère depuis plusieurs lustres des autoentrepreneurs microsatisfaits à des chômeurs inscrits, le monde joyeux de "la flexibilité" (concept) n'amuse que si l'on s'en sert.
En racontant ce qui pourrait bien avoir été, en partie, sa propre histoire, l'ex-journaliste Eric Faye raconte comment une agence de presse (entreprise) va s'effilocher parce que ses propriétaires lointains (des boursiers de l'empire) entreprennent de la désosser en usant d'une stratégie de la ruine lente.
Après la suppression de la corbeille de fruits dans les bureaux et du ménage impecable, les tactiques sont nombreuses pour rendre l'atmosphère irrespirable. Du reste, les pièges en grosse ficelle ne sont pas déjoués par les salariés confits en acceptations perpétuelles - le salariat est bien dans la tête autant que dans le statut économique. Moquant les plus subtils annonciateurs des catastrophes à venir, qu'ils nomment des Cassandre, ils ne voient guère le mal nul part, et en subissent très rapidement les conséquences, n'anticipant jamais un mauvais coup.
Prenant le prétexte d'une offre de départ volontaire, le poète-journaliste qu'anime Eric Faye se retrouve dans les mains des Assedic et des organismes de formation censés faire de lui un être nouveau, celui dont rêve la société ultralibérale : un pauvre type souple, apte au travail d'arrache-pied qui ne coûte rien... Mais qui rapporte aux actionnaires des organismes de formation.
Antoine Audouard nous avait régalé il y a quelques années de sa superbe Geste des jartés où il traitait de la question du dégraissage d'une entreprise en vers. Ici, chez Faye, pas de vers, sinon dans le fruit : le néo-libéralisme acide ronge tout. Bienvenus au pays du cynisme sans frein, bienvenus chez nous.
(Une devise à mémoriser : Lucidité/Perspicacité/Révolte.



Eric Faye Il suffit de traverser la rue. - Paris, Le Seuil, 288 pages, 18,50 €

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