La thérapeutique par les paysages

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La thérapeutique pair les paysages
par Jean des Vignes Rouges

Où irons-nous cet été ? Même dans les familles où les vacances se résument à quelques jours de congé, on débat la question ; l'un évoque des casinos somptueux, l'autre rêve d'escalader le mont Blanc, un troisième songe à pêcher à la ligne loin du téléphone et des embêtements. Personne ne se demande quel sera l'effet thérapeutique ou morbide du site où I'on ira vivre.
Grave négligence. Sait-on, meme, que les lignes, les formes, les masses, les couleurs, les odeurs d'un paysage sont capables de transformer notre âme et par conséquent de modifier notre rythme vital ?
Nulle influence pourtant n'est plus insidieusement tyrannique. Songez-y ; il est des paysages tristes, mornes, lamentables lacs de mélancolie où de funèbres fantômes nous entraînent. D'autres sites au contraire donnent envie de courir gaîment après les papillons, autour des buissons en fleurs. Une étroite vallée étouffe et angoisse alors qu'un vaste horizon satisfait notre goût de l'infini, dilate notre poitrine et facilite la digestion.
Que de qualificatifs n'a-t-on pas accolés au mot « paysage » : noble, médiocre, austère, grandiose, exaltant, sans compter cet « épatant » qui résume toutes les admirations. Or, tous Ces adjectifs sont les signes d'émotions modificatrices de notre sensibilité et de nos humeurs.
Les lignes d'un paysage constituent un élément important de sa puissance suggestive. Les horizontales dominent-elles comme dans le panorama d'une mer calme ou d'une immense plaine ; une impression de tranquillité s'en dégage parce qu'une longue habitude mentale a associé la position horizontale à celle du sommeil et du repos.
Si, devant la terrasse de l'hôtel où vous passez les vacances, un ravin s'ouvre comme un gouffre, méfiez-vous de la subtile imitation des lignes descendantes, imperceptible et mystérieux effroi vous envahira peu à peu, vous aurez envie de relire Lamartine et si, par hasard, une déception sentimentale surgit dans votre vie, vous songerez, par les nuits de clair de lune, à un suicide romantique.
Qu'une montagne, au contraire, avec ses lignes verticales ascendantes, sollicite constamment votre regard, elle éveillera en vous d'obscurs appétits de lutte. Un jour, en regardant un de ces sommets arrogants, vous direz : « A nous deux » et, piolet à la main, sac au dos, vous grimperez, poussé par une âme de risque-tout qui aura subrepticement pris les commandes de votre être.
Oui, tout est symbole, suggestion, persuasion, éloquence dans la nature, tout parle, conseille, blâme, exhorte, crie, gesticule. Maurice d'Hartoy l'affirme : « Chaque feuille est un être vivant qui se meut, respire, se démené et nous salue au passage.
On comprend, dès lors. qu'un monsieur qui souffre d'irascibilité permanente — signe dé diabète ou d'imminente attaque de goutte, disent les médecins — a tort d'aller en vacances dans un pays où tout est anguleux, géométrique, dur, cassant. Sous la menace permanente dé ces angles et de ces pointes sa mauvaise, humeur s'accentuera.- Qu'il aille donc, ce furieux, se promener en des allées onduleuses de suave ordonnance, qu'il contemple les souples méandres d'une rivière, la coupole de douces collines, ça le calmera et facilitera l'élimination de l'acide urique.
Voulez-vous guérir un jaloux ? Soignez son foie, dit le docteur Laumonier. Atténuez aussi son humeur ombrageuse en le conduisant en ces paysages mornes, arides, désolés, là où le désir, dans I'impossibilité de s'accrocher à un objet, fait mourir d'inanition les, pires jalousies ; du coup vous guérissez son foie.
Paysages d'orgueil, entraîneurs (l'action, humbles sites conseillers de bonheur tranquille, coteaux bourguignons qui font claquer les langues gourmandes, grasses campagnes normandes stimulatrices de l'appétit, et vous, innombrables et charmants petits coins perdus qui cachez dans vos lignes mille recettes de vie, qui nous apprendra, à vous connaître ? Quel thérapeute de génie classera les paysages comme les' sources d'eaux minérales, par spécialité de vertus curatives,.. afin que nous allions, à coup, sur, leur demander la guérison de tous nos maux.
Jean des Vignes Rouges



Päris-Soir, le 25 mai 1926.
Illustration du billet : Jean Thomas (1923-2019), « Le parc abandonné », 1956, Huile sur toile signée en bas à droite. H : 46 L : 55 cm Encadré.

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