Tristan Derême (1923)

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Les Conférences du Mercure de Flandre ».
« La muse au téléphone » ou « La poésie et la vie moderne »
par Tristan Derême
En M. Tristan Derême survivent tous les artifices séducteurs, toutes les grâces, tous les charmes de l'enchanteur Merlin ! Pendant combien de temps nous a-t-il gardés, hier, en extase, devant son verbe fleuri, son esprit assaisonné d’humour très fin et de poésie délicate ? On ne sait !... On se laissait bercer par des rythmes, par des cadences, et l'on n’avait qu'une crainte, celle de voir se terminer trop tôt cette délicieuse promenade au pays du rêve.
Mme Dussane jouait, à côté de l’enchanteur, le rôle de l'exquise fée Mélusine. Et cette collaboration nous ravissait.
Nos concitoyens sont bien coupables qui n’ont point envahi serrées la salle où s'épanouissait, hier, en lumineuses gerbes, un plaidoyer aussi élégant, en faveur de la poésie pure.
Tristan Derême, en prenant pour la première lois la parole à Lille, dit tout d'abord son émotion dans la ville de Samain et de Théo Varlet, il s’est vu, dit-il, dans l’alternative de saluer ou son public, ou l'éloquence du nombre ou le mérite de l’élite. La salle étant à demi pleine il se trouva que les deux préambules qu’avaient préparé conférencier furent également de circonstance.
« La poésie, explique-t-il ensuite, en abordant son sujet, est une tendance naturelle à l’homme ; et, Théodore de Calandre, un des héros favoris du poète, prétend que nous sommes tous des descendants de Virgile, et voici comment l’auteur de « La verdure dorée » nous le prouve :
« Vous admettez que vous et moi descendons d’un père et d’une mère. Chacun d’eux ayant également deux parents, nous arrivons par une progression géométrique à admettre qu’en remontant de onze générations, nous procédons de 1.024 ascendants. En continuant nos calculs affolants, nous constatons qu’en l’an mil nous comptions 67 milliards 108.864 ascendants, et plus de 37 milliards en l'an 700. Ce nombre dépassant la population totale du globe, vous voyez que nous sommes, non seulement les fils de Virgile, mais aussi d’Horace, de Tite-Live d’Ovide, de Salluste, etc... Et toutes les femmes procèdent de Cléopâtre, et sont des « filles de Minos et de Pasiphaé... »
M. Derême prend la défense des grands poètes que l’on accuse à tort d’être ennuyeux. Platon, Socrate étaient des hommes comme les autres et qui. savaient rire avec leurs amis ; et pétillent alors des anecdotes excellentes où le conférencier met successivement en scène Boileau et la comtesse de Noailles dont Mme Dussane lit l'émouvant poème : « Jeunesse ».
Que nous apporte la poésie moderne ? Que trouvons-nous en elle qui nous captive encore ? Rien de neuf sinon des nuances. Les sentiments que les poètes expriment sont toujours les mêmes : la vie, la mort, l'amour, la nature et la gloire, et les thèmes différents sur lesquels les lyres vibrent peu vent se résumer en ces trois mots : l’homme est mortel ! Et le poète qui ne veut pas mourir tout entier, parce qu’après lui la race des hommes continue, laisse à l’éternité son œuvre, qui n’est jamais que le reflet de lui-même.
Et la Muse de Jean-Marc Bernard, par la voix de Mme Dussane, exhale les « Stances » désespérées que du fond de la tranchée, le poète écrivit avant de mourir.

Mais, le chemin de fer, le téléphone, la T. S. F., nous ont envahis. Chercherez-vous rêveur, un endroit
"Ou d'être homme endormi ont ait la liberté
Sans être réveillé par trente téléphones ?
Pluton et Proserpine ont fui l’empire souterrain :
Où ronflent aujourd'hui les métros triomphants
... Nymphes nue
Qu’êtes-vous devenues ?
Quelle influence auront, sur les poètes, ces inventions trépidantes ?
Aucune ! affirme M. Tristan Derême. Le poète a le sens de la vie et non celui de l’époque, Pyrrhus serait toujours Pyrrhus, même s’il téléphonait ses rancœurs à Andromaque et si Pierre Corneille eût été pourvu d'une torpédo, la face de la tragédie n’en eût point été changée ! On ne chante ni les ascenseurs, ni la T. S. F., si ce n’est pour s’en amuser, à la faon de Jean Pellerin :
Les dieux s’en vont, s’en vont au trot,
Jeanne se décourage
Et ce dernier Abencerage
Est mort dans le métro.

Les temps nouveaux nous ont apporté le vers libre. Mais pourquoi l'appelez-vous libre ? Tout ce qui n’est pas vers est prose et tout ce qui n’es pas prose est vers, disait cet excellent M. Jourdain. Il y a ici une erreur de définition dont Tristan Derême fait justice.

Si tout a été dit, que nous reste-t-il ? ajoute le conférencier. Rien que l’espoir d’emouvoir encore et d’être ému... Tentons d’apporter une nuance nouvelle et n’essayons pas de faire comme ceux qui, pour nous étonner. marchent sur les mains, ceux-là imitent — et grossièrement — ceux qui marchent sur les pieds !
Nous voudrions dire encore tout le charme qui se dégage de l’histoire touchante de ce poisson rouge que Mme Dussane lut avec tendresse et nous terminerons en remerciant et en félicitant de son effort, le « Mercure des Flandres », en la personne de son rédacteur en chef, M Valentin Bresles qui nous a donné ce régal dont le bénéfice est destiné à la Société de patronage des aveugles du Nord.


Pierre Manaut.



L'Echo du Nord, 25 octobre 1926.

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