Il l'écoutait sans l'interrompre, et les signes d'acquiescement distrait qu'il lui faisait mettaient l'autre encore plus mal à l'aise. Il songeait à tous les "indicateurs" qui étaient restés dans les replis de l'Apennin sous une mince couche de terre et de feuilles sèches : hommes misérables, pourris de peur, pourris de vice, et qui jouaient un jeu mortel en s'évertuant à mentir entre les partisans et les fascistes. Le seul élément humain existant en eux était cette agonie dans laquelle leur lâcheté même les faisait se débattre.Tous les jours, par peur de mourir, ils affrontaient la mort. Enfin l'heure de la mort sonnait, la dernière, la définitive, il n'y en a qu'une ; ce n'était plus le double jeu, la double mort de tous les heures.
Leonardo Sciascia Le Jour de la chouette. Traduction de l'italien par Juliette Bertrand, édition de Claude Ambroise. - Paris, "GF", 6,90 €