Reumaux 71

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« L'OMBRE DU LOUP » de Patrick Reumaux

Il y a quelque six ans, Jean Paulhan découvrait un jeune écrivain- Patrick Reumaux (né en 1942 à Alger), dont le premier roman La Jeune fil le qui ressemblait à un cygne (1), loin de tout intellectualisme et de tout snobisme, dénotait une inspiration originale, un authentique talent d'écrivain. Puis, suivant cet iinéraire lumineusement fantastique, Patrick Reumaux publia- en 1968- Les fleurs se taisent (2). roman distribué en deux volets — comme le premier — qui retrace les derniers instants de la vie d’un couple. Le protagoniste. Henri Ferrare, assiste à l’agonie de sa femme et, bien que la haïssant- il ne pourra oublier ses « yeux ouverts ». La seconde partie nous invitait aux tribulations d’une famille foraine à laquelle- d’ailleurs, ce même Henri Ferrare participait.
Mais — astuce d’auteur (peu importe) — Henri Ferrare, c’est le jeune homme qui, un jour en traçant un d minuscule suivi d’une apostrophe, a vu apparaître le corps d’une jeune fille ressemblant étrangement à un cygne. Et, comble d’ironie, cette duplicité se retrouve dans L’Ombre du Loup (3)» puisque, aussi bien, l’un des principaux héros de ce roman se nomme Henri Ferrare - et que le village est appelé St-Irénée — au demeurant le ti

tre de la première partie de La Jeune fille. Mais qu'importent le cadre et les noms ! Ici tout se situe, j entends les correspondances et la continuité, au niveau du verbe et de la narration. On retrouve dans L’Ombre du loup l’originalité et les qualités d’écriture des œuvres précitées, le même pouvoir d’évocation très habile- la môme gravité fascinante. D'ailleurs, la trame est simple : à St-Irénée, l’auteur repose son obsession des couples et de la lumière absolue qui les enveloppe. Georges et Damien sont séparés par une morte- Gaspard et Lina unis par l’amour, enfin et surtout Henri Ferrare. peintre abandonné par sa femme, n est relié à la vie et à l'amour que par sa fille, âgée de sept ans- Eugénie : « Ni bonjour ni merci, mais un jour absolu, un oubli absolu- comme si chacun, pour l’autre, demeurait inoubliable ». Cela dans le décor d'une nature intransigeante qui, pour offrir le minimum de satisfaction, ne peut que se laisser aimer.

Dans le second volet Henri Ferrare meurt. Eugénie, qui l'a abandonné pour sa mère, mène une vie de petite bourgeoise, indolente- passive, connaît les expériences passa gères de l’amour, les souhaite même, et est hantée par l'image - la personnalité de son père, ou plutôt le halo de poésie qui l’entourait. Dans Les fleurs se taisent on voit un enfant entrer dans la rivière pour retrouver sa mère qui est morte. Eugénie retour nera à Saint-Irénée rechercher la fantastique innocence de son enfance, l’ombre de son père et celle — symbolique sans doute — du loup qui, traqué, est abattu dans les dernières pages.
Cette répétition du meme drame, que l'on retrouve dans toutes les entreprises romanesques de Patrick Reumaux, en faisant d'une histoire toutes les histoires, d’un possible tous les possibles- éclaire le monde d’une lumière neuve et absolue. La démarche parfois ambiguë de cet auteur est une constante source d’enrichissement, d'émotions et d’émerveillement. Et cette ambiguité, qui dépasse la simple recherche des effets, apparaît comme une communion avec la vie. une réflexion profondément existentielle. Telle est l’originalité de Patrick Reumaux qui, une fois de plus s’il fallait nous en convaincre, nous démontre qu’il fait partie des écrivains d’importance, donc nécessaire.
Michel BOURGEOIS

(1) Coll. « Le Chemin » (Gallimard, 1965).
(2) Coll. « Le Chemin > (Gallimard, 1968).
(3) 212 p., 19 F (Gallimard)




Combat, 29 juillet 1971.


Illustration du billet : Patrick Reumaux en 1965.

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