Tandis que s'époumonent les gugusses de tout poil et de toute obédience à propos d'on ne sait quel marchand de papier et d'on ne sait quelle manifestation socio-culturelle à vocation spectaculaire financée par l'Etat, toute la communauté littéraire a tourné le dos à un personnage important au moment où il importe, faute de l'avoir fait de son vivant, de lui rendre hommage.
Cet homme, c'est Patrick Reumaux.
Un romancier français, publié à la marque des meilleures enseignes - la maison Elisabeth Brunet à Rouen parmi les plus récentes -, un traducteur qui nous a abreuvé généreusement de textes fondamentaux (les frères Powys, par exemple, Mervyn Peake, les Brontë et on en passe), un ami d'André Dhôtel, un professeur de grande classe, un essayiste (sur Lampedusa par exemple), un poète, un écrivain pour dire les choses simplement.
Et pendant ce temps, on se goberge à propos d'un pitre sans humour, fils à papa qui n'a jamais eu besoin de mouiller sa liquette en quoi que ce soit, faiseur de phrases, et d'un événement culturel dont la direction est phagocytée depuis toujours par la maison Gallimard via certains de ses auteurs. Qu'en a-t-on donc à foutre, je vous le demande ?
La grande honte, dans tout ça, c'est celle d'un milieu littéraire qui s'enfonce depuis quelques lustres dans une vacuité consternante, dans un relativisme permanent, dans un culte des personnalités, à condition quelles soient notoires (donc people), dans une absence d'intérêt pour ce que colportent les livres ou non.
Et pourtant... pourtant...
Cela ne se sait pas encore bien, mais ceux qui étaient les plus proches de lui savent combien Raphaël Sorin regrettait d'avoir fait monter la mousse MH, par exemple. On sait aussi combien ont manifesté leur perplexité justifiée à la remise de prix Nobel à quelques mâles récents. On sait à quel point les prix littéraires plus sclérosés les uns que les autres continuent de vanter sans vergogne (et avec la complicité de jurés médiocrement rigides dans leurs principes) des productions éditoriales très ciblées. Combien les libraires eux-mêmes jouent avec des cartes truquées (un exemple : allez donc voir Ground Control dans le XIIe à Paris : Les sous-marques de Gallimard (mercateur malin) ont pignon sur cet endroit où la jeunesse moderne a toutefois d'autres pilons de poulet à becquetter), et les complicités bien-pensantes sont nombreuses...
Or la littérature, comme le diable, se cache dans les détails. A vous de les trouver.
Pour sa part, L'Alamblog rendra dans les temps qui viennent hommage à Patrick Reumaux autant que possible.
Illutration du billet : André Dhôtel et Patrick Reumaux en 1965.
3 réactions
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1 De van worden -
À voir si Le Monde lui consacre une nécro... J'en doute. Ça me rappelle que pour la mort de Seignolle, rien, rien du tout dans ce journal de référence.
2 De ecdlhp -
Bravo Éric ! Et merci pour cet auteur, éditeur et ami incomparable !
3 De Alain Chassagneux -
Bonjour,
En cherchant vainement trace d'un hommage rendu à Patrick Reumaux, je suis tombé par hasard sur le billet d'humeur que vous venez de consacrer à cette triste nouvelle.
Je constate au passage mais je ne sais pas si je dois m'en réjouir que sur un tel sujet, le Sceau du Tabellion, qui habituellement sombre dans les profondeurs du classement de ce tableau d'horreur qu'est devenu l'internet, figure cette fois en bonne place entre les copains mycologues de Patrick qui saluent sa mémoire et votre Alamblog qui relaie l'info.
L'occasion de vous en conter une bien belle puisque Patrick Reumaux m'avait fait récemment l'amitié de me confier des "Dialogues avec la Gobeline" pas piqués des hannetons, ni des lucilies vertes qu'il affectionnait tout particulièrement.
Avec le peu de moyens dont je dispose (et encore moins d'entregent), je me suis attelé ces dernières semaines à la mise en forme de ce qui n'avait pas vocation à devenir un livre posthume et qui lui tenait particulièrement à cœur.
J'ai appris en effet, le jour où j'envoyais les maquettes à l'imprimeur le décès de cet homme exceptionnel et de cet écrivain complet, romancier, traducteur hors pair à qui vous vous apprêtez semble-t-il à rendre à votre tour, l'hommage qu'il mérite.
Sachez encore qu'en vous aventurant sur notre modeste site www.sceaudtabellion.fr vous y trouverez l'annonce de cette nouvelle publication pas encore disponible dans toutes les librairies de France et de Navarre qui ne se bousculent guère, il est vrai au portillon
mais qui vient singulièrement et je m'en félicite, enrichir notre catalogue très confidentiel qu'il avait déjà marqué de son empreinte (Préface à L'homme de la scierie et traductions successives de Washington Irving, de Hugh MacDiarmid et d'Emily Brontë, excusez du peu).
Vous y trouverez aussi, au passage, le vibrant hommage d'un de ses amis, Roland Frankart, par ailleurs secrétaire de la digne confrérie des Amis d'André Dhôtel, La Route inconnue.
Bonne journée.
Bien à vous.