Passés les soucis informatiques, qui nous coûtèrent bonbon (et en euros et en heures), nous eûmes le plaisir de constater que la maison Pétété ne nous avait pas oublié. Ouiche. Outre qu’elle nous servait chaque jour de plaisants paquets regorgeant de pages plus attirantes les unes que les autres, elle eut la délicatesse de songer à notre moral. Pour dire le vrai, elle nous livra le bouquin le plus grotesque qu’il nous avait été donné de parcourir depuis fort longtemps. C’est un petit exploit, je vous assure. Non que nous ayons la réputation, non plus que l’habitude, d’absorber des textes médiocres sans râler – et nous aurons l’occasion d’en parler, oh que oui. Non, il s’agissait là, et il faut le souligner, d’un chef-d’œuvre absolu de l’Art truffe.
Nous sentons bien qu’il nous faudra revenir sur cette notion neuve, laquelle ne sera évidemment pas confondue avec l’Art con de Jean L’Anselme, ou avec l’Art brut de Jean Dubuffet. D’ailleurs, notre sujet se prénomme Philippe, pardon Philip, et pas Jean. Adoncque.
L’oiseau se prénomme donc Philip. À l’américaine, for sure, because Philippe in french doit être a little tarte. Et c’est déjà un indice. On apprend en quatrième de couverture qu’il est né à Toulouse en 1962. La belle affaire. Il a par ailleurs des titres de gloire : « scénariste dans la publicité et le cinéma ». Pas scénariste pour la publicité et le cinéma, non dans. C’est dire qu’il y est jusqu’au cou. Passons. Philip, disais-je, se prénomme Philip, et il se patronyme Le Roy. Puisque nous ne sommes pas des andouilles, nous avons bien compris qu’il se patronyme en fait Li Roille, et pas Le Roy comme vous et moi. Le Roy, c’est d’un commun, et pi ça manque de ce petit relent de ketchup qui vous allume les sourires béats sur le visage des bimbos. Passons again. Non, le plus drôle c’est bel et bien le livre. Mais oui, car le plaiboi écrit. Que si. Et Le Dernier Testament s’il vous plaît. Pas moins. Ah, l’ambition, n’y a qu’ça d’vrai.
Polar biblique, car c’est la mode, ce bouquin parut l’an dernier aux éditions Le Diable Vauvert, une maison papetière dont on sait déjà toutes les qualités littéraires (à notre grand dam), et reparaît au format de poche chez Points-Seuil (section « trilères »). Il sera toujours temps de s’interroger sur les raisons qui l’ont fait sélectionner par la collection Points qui n’avait jamais, à notre connaissance, publié de telles stupidités. Un changement de cap sans doute. Bref, bref, bref, venons-en au fait. Et le fait est que ce bouquin est écrit à la 6-4-2 par un maçon de la page blanche qui n’a jamais peur du ridicule. JAMAIS. Et pour ne pas vous gâcher la surprise, je ne vous conseillerai pas autre chose que le préambule aussi grostesque qu’hilarant où l’on découvre le père Jésus (70 balais au compteur) et sa meuf (Marie truc, la péripatéticienne, vous vous souvenez ?) dans une grotte, discourant de leur influence sur la course du monde. Il fallait y penser, Li Roille l’a fait.
Et cela donne (accrochez-vous !) :
« Face au paysage immobile et muet, Myriam réintégra l’étroite cavité, voûtée, ventée, obscure. Assis sur une couche constituée par plusieurs épaisseurs de lin, Yehoshua la contempla en lissant sa barbe. Il lut en elle de la tristesse.
« - Je te le dis en vérité, Myriam, une révolution naît dans la douleur, pas dans la douceur.
« Elle s’agenouilla. Il lui caressa les cheveux.
« - Nous avons transformé l’histoire de la région, dit-elle pour se consoler.
« Il se pencha pour déposer sur ses lèvres un baiser qui contenait plus d’amour que les Evangiles.
« - L’histoire du monde, rectifia-t-il. »
Alors, hein ? Quand je vous le disais ! Et ce n’est que la deuxième page d’un opus qui en compte plus de six cents. Un vrai cas d’école. Mieux, le texte clé de l’Art truffe ! Pour conclure enfin (car j’ai été bavard), notez tout de même la qualité des références critiques citées au dos du machin :
« Un miracle littéraire » Lire
« Philip Le Roy, jeune romancier surdoué (…) » Zurban
On ne sait pas qui, de Lire ou de Zurban, est le plus flagorneur… Quoiqu’il en soit, pour vous fendre la gueule, une seule adresse : Philip Li Roille.
Philip Le Roy, "Le Dernier Testament". Paris, Points-Seuil « Trilère », 618 pages, 7, 90 €.
ATTENTION : Nous recommandons instamment aux personnes fragiles du cœur de ne pas consulter seules cet opus.
Tous ceux qui ne craignent pas le talent, voire le génie, se dirigeront plutôt vers
Mikhaïl Boulgakov, Le Maître et Marguerite. Traduit par Claude Ligny. Paris, Presses Pocket, 581 pages, 6, 18 €.
1 De caboteur -
Cher Alamblogueur
Ta citation du "Dernier Testament" nous laisse perplexe. Si le texte est au premier degré, je me tais et ce "baiser qui contenait plus d'amour que les Evangiles" me place en face de la seule décision qui s'impose et que je soupèse depuis longtemps : me remettre à fumer. Mais s'il est au second ?
P. Leroy ne serait-il pas le génial pasticheur du sulpicianisme littéraire illustré par Bobin et autres ?
J'en viens à la seule question importante du commentaire : comment peut-on récupérer les Alamblogs d'avant juin 2006 depuis, au moins, l'invention de l'imprimerie ? Sont-ils sur le site, mais où cachés ?
Serviteur.
SHT
2 De Eric Dussert -
Oui, je sais. Ce livre m'a laissé perplexe... du moins au début. Ensuite, j'ai compris. Voilà ce qui motive mon propos sur l'art truffe. Une vraie invention dans son genre. Avant juin 2006, L'Alamblog n'existait pas. Et avant de ne pas exister l'Alamblog se nommait l'Alambic. Il était alors couché sur papier vert absinthe (ou couasi) et supportait une encre d'offset.