De quoi se plaint-on ?

Sitôt nos soucis électroniques balayés – ou couasi : il reste à procéder, tout de même, à quelques exhumations pénibles pour tenter de sauver une paire de fichiers poussiéreux mais importants, quelques photos de famille et deux ou trois articles indispensables, tous coincés, comme dans le film, dans la coque de la nef Toshiba renversée par cette lame tsunamique qui nous a fourni bien du tracas, bien du stress aussi… -, restent les bons sourires de la vie, bonasse celle-là, qui n’en a pas fini de trouver le moyen de nous faire plaisir. Et je ne parle pas seulement des cadeaux d’anniversaire qui m’échurent, splendides, délectables, adorables.

Il est vrai, en effet, que la Pététée, fée laborieuse quoi qu’il lui en coûte, nous a ainsi fait livraison d’une pile de livres peu ordinaires, assez pour titiller l’excitation, pour creuser la curiosité. Il y eut d’abord La Déménagerie, de Jean-Loup Trassard, avec un petit mot très courtois et, en couverture, une photographie dont l’auteur a le secret. On a assez répété les énormes qualités de son roman Dormance pour engager tout un chacun à poursuivre son exploration. L’œuvre de Trassard n’est pas de la gnognotte. C’est du ferme, du terrien, du persistant.

Vint ensuite le lot concocté sympathiquement par David Vincent, mais oui, le patron des éditions L’Arbre vengeur, lequel végétal tape de taille et d’estoc pour rendre à quelques auteurs leur prééminence raccourcie par les estimes déplacées. Chacun sait qu’en la forêt, le plus grand, le plus gros fait de l’ombre aux quinquins. Or, en littérature comme en la vie, mes frères, mes sœurs, ceux qui accrochent le mieux la lumière ne sont pas toujours les plus resplendissants. C’est une question de surface, pas de matière interne. Soit. Passé le laïus du blogueur mal éveillé (il est encore tôt, non ?), on notera avec attention que ledit David Vincent de l’Arbre vengeur produit de très estimables pages de Paul-Jean Toulet, Jules Renard, Remy de Gourmont, Italo Svevo, Léon Bloy, Jean Richepin, Edmondo de Amicis (mais oui ! ces Vertiges de l’amour dont je suis curieux depuis longtemps), etc. Ainsi que nos contemporains parmi lesquels Jean-Luc Coudray, Marc Petit, Jean-Yves Cendrey et Jean-Marc Aubert. Mazette, que de monde. Les opus récents que j’ai en main ne dérogent pas à la qualité entrevue naguère : les nouvelles du Conquérant du dernier jour, de Louis Chadourne, sont désormais des classsiques, comme tous les livres de cet homme. Le Fruit défendu de Théodore Powys, traduit par Patrick Reumaux, nous allons nous dépêcher de consommer (tu parles ! il est servi sous une couverture colorée appétissante en diable), dès lors que nous aurons achevé notre immersion dans le Talent de Jacques Audiberti, l’indispensable Audiberti, l’Audiberti qui n’écrit comme personne, celui qu’on n’entend plus trop, excepté au théâtre, et que l’on ferait mieux de lire attentivement (les lecteurs d’estuy blog qui n’auraient pas acquis d’ores et déjà son Paris fut aux éditions Claire Paulhan sont priés de le faire illico, c’est pour leur bien et c’est par ici et c’est un grand, grand livre). On se rendrait compte qu’à côté des scribouilleux un Audiberti fait la maille. On s’apercevrait qu’à trop écouter les critiques on lit les glaces à l’eau d’une Fred V***** ou les puddings d’un Antoine V*******, et qu’on y perd un peu son temps. Franchement ? L’une écrit à la va comme je te pousse des phrases courtes, sèches, à peine formulées sitôt digérées, tandis que l’autre fait des phrases, des phrases, des phrases, avec l’air de vouloir nous en imposer. Avec Audiberti, pas de risque de s’ennuyer ou d’être pris pour des niais. Passé le dépaysement, l’angle étrange de son observation du monde, on apprend au moins à fourbir sa propre langue et à se laisser mener par le bout de la rétine. Comme avec Charles-Albert Cingria, tiens. Et l’on souvient, tiens, c’est vrai, qu’Yves Martin dégustait Audiberti. Pas fou, Yves Martin.



Le même jour, les dieux considérant qu’il me restait un peu de temps libre, c’est l’essai de Lionel Dupuy qui montra son nez. Il est consacré à Jules Verne, l’homme et la terre. La mystérieuse géographie des Voyages extraordinaires. Survolé parce qu’appétissant, l’opus promet. Il a paru à l’enseigne de La Clef d’Argent, dont on sait les talents fictionneurs. – Et si on ne sait pas, nous y reviendrons.

Il y eut encore Le Mec de la Tombe d’à côté, de Katarina Mazetti, propre à réjouir Lydia M., dont le blog Mes (més)aventures mérite votre visite (certes, il est n’est pas “exclusivement littéraire”, néanmoins écrit à l’arrache et avec beaucoup d’humour), celle de tout un chacun d’ailleurs. Songez un peu que ce roman désopilant, et grave, a été acheté par 450.000 des 9 millions de Suédois… Nos Sollers et nos Gavalda réunis ne sont pas prêts d’atteindre des scores pareils : imaginez une seconde 40, 5 % des Français se rendant de conserve chez leurs libraires favoris pour se payer un de leur bouquin ! L’horreur. Le Mec de la Tombe d’à côté est un roman d’amour, certes, mais c’est aussi un roman social. Car K. Mazetti y narre les amours passionnelles d’une bibliothécaire terne et d’un agriculteur - allez, un paysan en fait - séduisant. Aller à l’opéra ou traire les vaches, il faut choisir. Dilemme.

Il y eut aussi le grand Swing de Gaston Criel, où s’entend hot l’appel du Wa-Wa, la nuit, au fond des clubs. Un vrai classique de la littérature de jazz. Jacques Réda doit en dire quelque chose, quelque part, c’est sûr.

Jean-Pierre Verheggen, le plus plaisant des ex-TXT, lesquels ont souvent sombré depuis dans des proses à posture, livre lui les « excentries » de L’Idiot du Vieil-Âge. On lui fait confiance à ce jovial.

Maurice Imbert fournit finalement le Petit Supplément aux Œuvres plus-que-complètes, tome II, de Félix Fénéon et c’est une œuvre de salubrité patrimoniale : on y redécouvre des articles de ce grand silencieux à barbiche publiés sous le pseudonyme de Frédéric Moreau (emprunté à L’Education sentimentale) dans La Revue des journaux et des livres. On n’en finit donc pas de découvrir Fénéon, c’est d’un suspens léger mais très satisfaisant pour l’esprit.

De même que l’effort des éditions du Clown Lyrique, inconnues jusqu’ici, qui livre un ROMAN INEDIT de Remy de GOURMONT ! Mais si. Il s’intitule Le Désarroi et il est servi avec une postface de Nicolas Malais. Il est sûr qu’on va s’y jeter hardiment. Et sans crainte. Avec Gourmont, pensez donc !

Reste Claude Louis-Combet, dont deux ouvrages nous sont arrivés en même temps. C’est doublement réjouissant : il y a les cinqs nouvelles de Visitations, puis Cantilènes et fables pour les yeux ronds, un titre propice, favorable, comme auraient dit les Anciens. Et doublement encore, puisque Bérénice Constans, oui LA Bérénice Constans des Cahiers du Schibboleth, des éditions Galimart et, plus récemment, des éditions Schushumna illustre le volume. C’est du nanan, foi d’animal.

Bon, nous fûmes longuet, c’est certain. Nous renvoyons donc aux calendes quelque propos badin préparé pour célébrer la canicule, ses qualités, ses mérites, de même qu’une liste intempestive de petites trouvailles (des vieilleries du registre policier et SF). Tout vient à point pour qui sait attendre. Et, malgré la flemme qui me tient de sa poigne velue, je vous livre en prime les références de toutes les belles choses signalées ici. Vous ne pourrez pas dire que je me fiche de vous. Fichu blog.



Jacques Audiberti, Talent, avec une préface de Marie-Louise Audiberti. L’Arbre Vengeur, 216 p., 16 €

Louis Chadourne, Le Conquérant du dernier jour, et autres nouvelles. L’Arbre Vengeur, 232 p., 13 €

Gaston Criel, Swing, précédé d’une lettre de Jean Cocteau et suivi d’un témoignage de Charles Delaunay. Est-Samuel Tastet, 76 p., 12 €

Lionel Dupuy, Jules Verne, l’homme et la terre. La mystérieuse géographie des Voyages extraordinaires. La Clef d’Argent, 174 p., 12 €

Félix Fénéon, Petit Supplément aux Œuvres plus-que-complètes, tome II. Textes rassemblés et présentés par Maurice Imbert. Du Lérot éditeur, 111 p., 27 €

Remy de Gourmont, Le Désarroi. Postface de Nicolas Malais. Editions du Clown Lyrique (35, rue des Bussys, 95600 eaubonne), 128 p., 8 €

Claude Louis-Combet, Visitations. José Corti, 96 p., 13 €
Claude Louis-Combet, Cantilènes et fables pour les yeux ronds. José Corti, 86 p., 13 €

Katarina Mazetti, Le Mec de la tombe d’à côté. Traduit par Lena Grumbach et Catherine Marcus. Gaïa, 256 p. 20 €

Theodore Francis Powys, Le Fruit défendu, et autres nouvelles. Traduction de Patrick Reumaux, illustrations d’Alexandre Clérisse. L’Arbre Vengeur, 128 p., 11 €

Jean-Loup Trassard, La Déménagerie. Gallimard, “Folio”, 320 p., 6, 40 €.

Jean-Pierre Verheggen, L’Idiot du Vieil-Âge. Excentries. Gallimard, 156 p., 15 €

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