Tandis qu’un anonyme informateur nous signalait qu’une version manuscrite et traduite en français de La Légende de Novgorode circulait à Paris dès le début des années 1990 - ah ! ah ! l’enquête avance… - nous eûmes la bonne joie de tomber dernièrement sur l’édition originale d’un roman tout ce qu’il y a de curieux : La Vénus perdue de François Prieur, que voici
Ce joli roman narre les exploits archéologiques d’un employé municipal de Marseille à la recherche de l’antique temple dédié à Vénus dans la vieille ville dévouée aux filles, aux marins et aux bars louches. L’objectif est de retrouver l’hellène Massilia qui sommeille sous la Liverpool du Sud. Une gageure, qu’un projet urbanistique d’envergure rend tout à coup possible. Et tout cela, mené tambour battant comme un Jules Romains pousse Les Copains, comme on abat les pages dans un bon roman d’aventures, donne un récit fort plaisant, très frais et rédigé dans une langue vraiment superbe, et pleine de malice, pour ne rien gâter. On avait dévoré le bouquin, on a tout simplement réitéré.
La Vénus perdue nous avait été recommandé il y a une paire de lustres par André Dimanche, lequel se tâtait, et se tâte toujours : rééditera, rééditera pas… Il a tort, à notre humble avis, de ne pas tenter le coup. Ne serait-ce que pour sa clientèle marseillaise, qui y trouverait son compte. C’est dans la réédition de la FNAC (mais oui ! mais la FNAC de 1977, la militante), aisément dénichée, que nous avions lu une première fois ce petit joyau.
Pour autant, la découverte de l’originale fut pleine d’émotion, au point de nous plonger à nouveau dans ces bonnes vieilles pages qui sentent la chasse au trésor. Et pourquoi donc de l’émotion ? Tout simplement parce que François Prieur (circa 1886-1963), personnage encore bien mystérieux dont l’activité fut, semble-t-il, liée à la vie portuaire de Marseille, n’escomptait tirer aucune traite sur ses talents littéraires. Non ? Si.
C’est-à-dire que François Prieur, dont la plume pouvait soutenir la comparaison avec celle de plusieur(e)s magnat(e)s du milieu de l’époque, faisait procéder à l’impression de son livre à son compte, pour les amis. C’est dire s’il n’est pas courant. Il n’en est pas moins délectable, et enjoué. Soit : on le recommande.
D’autres que nous enquêterons à Marseille pour savoir qui fut vraiment ce virtuose du Provençal. Les quelques pistes dont on dispose sont celles-ci : Né en Corse, il fut mobilisé dans la Royale pendant la Première Guerre mondiale, dont les campagnes le menèrent dans l’Adriatique. Il avait auparavant fait ses d’humanités et une formation à l’Ecole d’hydrographie, puis il réussit un concours d’officier de la marine marchande. Rendu à la vie civile, il s’installe au cinquième étage de la rue de la République, auprès de sa mère, et entame une carrière de journaliste au Petit Provençal.
Son roman, fruit de ses vadrouilles de journaliste, connut un destin sans pareil. Aussitôt imprimé et broché, il fut regretté par son auteur qui chercha à en détruire les exemplaires. Seuls quelques amis - Marcel Pagnol, Louis Brauquier, Carlo Rim, Edouard Peisson, André Négis, Pierre Humbourg et Léon-Gabriel Gros - parvinrent néanmoins à sauver l’exemplaire qui leur avait été d’abord offert.
Les excavations qui mirent Marseille sans dessus dessous en 1967 remirent le chef-d’oeuvre en péril sous les feux de la rampe : c’est bien là où François Prieur l’avait indiqué, quarante-quatre ans plus tôt, dans son livre que sommeillaient les ruines antiques de la vieille Massilia, et notamment ce Mur de Crinas et ces murailles…
Mais que sait-on encore de François Prieur ? Qu’il fit à la Libération un voyage aux USA avec un Jean-Paul Sartre indifférent aux beautés du Colorado, qu’il poursuivit l’elfe Marie Bashkirtseff chère à son coeur, qu’il mena ses enquêtes chez les Félibres, fit des recherches sur le théâtre à Marseille et voua toujours un culte à Stendhal.
Ce n’est pas si peu.
François Prieur, La Vénus perdue. Paris, Aux dépens de l’auteur, chez Jean Ribou, libraire vis-à-vis de la Sainte-Chapelle, 1923 (achevé d’imprimer 25 octobre), 260 pages.
François Prieur, La Vénus perdue. Préface d’Edmée Santy et Pierre Roumel. S. l., FNAC, 1977, 234 pages.
N. B. Il est frappant que les épigraphes des chapitres choisies en 1923 par François Prieur soient signées Stendhal, Levet, son compatriote Edmond About, Valery Larbaud, Jules Laforgue ou Caylus.
1 De Cardi -
Bah mon vieux Al, figure toi que cette Vénus a fait des siennes vers le vieux port, au centre Bourse très exactement, dont la construction, aux belles heures des pelleteuses pompidoliennes, avait valu la découverte de vestiges gallo, greco et autres romains. En ce Centre, donc (je résume pour les estrangers) se trouve la Fnac de Marseille, laquelle publia pour son lancement en 1974 une réédition de la Vénus perdue. Deux journalistes du Provençal (peu importe les noms) s'étaient associés au sus-dit agitateur pour réaliser l'objet. Or le Gaston, maire du Provençal et propriétaire de Marseille, était engagé dans la noble lutte qui devait aboutir à la loi du prix unique sur le livre, lutte dans laquelle la Fnac n'était quant à elle pas engagée le moins du monde. Cela s'est soldé, si l'on peut dire et d'après mes sources, par une convocation à 6 heures du matin des deux journalistes dans le bureau du Lider Maximo. Gros émoi aussi parmi les débitants marseillais de papier imprimé qui n'ont guère apprécié cette réapparition de Vénus, nonobstant les qualités de François Prieur.
Au fait: bravo pour ton blog (ça te fait quel effet de ne pas avoir à tailler et retailler tes textes pour qu'ils "rentrent" dans une fichue maquette?)
2 De Eric Dussert -
Que du bonheur ! Et, à propos des "débitants marseillais de papier imprimé", quelle fut donc la cause de leur courroux ? La marque FNAC sur un produit local sans doute ?