L'Affaire Molière (I)

Un Watergate de la recherche universitaire ?

On attendait ça depuis longtemps : la documentation rassemblée par Pierre Louÿs (1870-1925) en vue du procès de Molière va paraître, ou du moins les bonnes feuilles de cet ensemble de près de trois mille pages.
Fayard l’annonce pour le 11 octobre prochain.

Il va sans dire que, une fois encore, la Sorbonne va blêmir puis contre-attaquer, la critique officielle à ses basques fourbira l’opprobre, les arguments fallacieux, si ce n’est l’insulte, sur Louÿs et ses deux secrétaires, les nommés Jean-Paul Goujon et Jean-Jacques Lefrère, qui ne sont du reste pas des spécialistes du XVIIe, loin de là.
Tout cela est bien prévisible, au point que c’en est un peu fastidieux. On pourrait presque donner les noms des détracteurs et les organes de presse où ils vont sévir. Et quand je dis sévir, il me faudrait écrire pérorer, car la messe est dite aux yeux de ceux qui se gardent des apparences.
Pour les béni-oui-oui, en revanche, et les dieux savent à quel point ils sont nombreux, notamment dans les “lieux informés”, et peut-être surtout en ceux-là, ne voudront jamais croire, penser ou admettre que Molière ne fut pas le génie de la langue que l’on a “imaginé” jusqu’ici. Parce qu’il s’agit bien d’une construction que ce mythe Molière. Et les faits parleront, l’absence de manuscrit aussi (1).
Pour l’heure, il s’agit d’attendre et ce volume intitulé Ote-moi d’un doute, titre peut-être un peu velléitaire, ainsi que le volume conçut par Denis Boissier après son Affaire Molière déjà fort décillante. Ce dernier a eu la riche idée de démonter la thèse du “Molière écrivain de génie” en se basant sur les thèses, articles et ouvrages de pro-moliéristes. Mises bout à bout, il n’est pas plus assassin que les bonnes volontés (l’enfer, dit-on…). Leurs incohérences collectives démontrent assez que l’université, soucieuse de respecter canons, doxa et hiérarchies pédale depuis la Révolution française, et la IIIe République, dans un brouet peu clairet.
Apprécier les zoïles de la recherche, tous les adeptes de l’embabouinage dans leur rugissement, assis sur leur tricycle bancal, sera, la saison prochaine, le spectacle majeur. Et puis, peu de temps après, la nouvelle mouture de l’essai de Denis Boissier paraîtra enfin, équipée de trouvailles nouvelles, et ô combien édifiantes.
Mais chut… gardons encore un peu le secret.

Rappel : Pierre Louÿs avait lancé l’affaire en 1919… Que de temps il faut pour qu’une hypothèse soit simplement admise et éventuellement discutée… serait-ce la preuve que nos “élites” ne sont jamais qu’une tribu grégaire, hostile à la nouveauté, aux possibles ? (A suivre.)

(1) Même si Vrain-Lucas a mis la main à la plume…

NB Après Pierre Louÿs, Henry Poulaille (1896-1980), René-Louis Doyon, Pascal Pia (1903-1979), Hippolyte Wouters, Denis Boissier et, last but not least, Dominique Labbé ont creusé le fond de cette polémique en ramenant chacun des hypothèses aussi crédibles qu’intéressantes.

Sur le sujet, la documentation édifiante est la suivante :

Pierre Louÿs, L’auteur d’Amphitryon, Le Temps, 16 octobre 1919.
Pierre Louÿs, Corneille le grand, Comoedia, 24 octobre 1919.
Pierre Louÿs, Les Femmes savantes, Comoedia, 27 octobre 1919.
Pierre Louÿs, L’Imposteur de Corneille et le Tartuffe de Molière, Comoedia, 7 novembre 1919.
Pierre Louÿs, Les deux textes de Psyché, Comoedia, 10 novembre 1919.
Pierre Louÿs, Broutilles, recueillies par Frédéric Lachèvre. Paris, 40, rue Beaujon, s. d. (1938). In-8, 103 p., BN Impr. Rés. p-Z-1206. Contient: Le Problème Corneille-Molière vu par P. Louys (contribution au dossier définitif).

Henry Poulaille, Corneille sous le masque de Molière, Paris, Grasset, 1957, 400 p. (épuisé).

René-Louis Doyon, Molière, panacée universitaire I. Les Livrets du Mandarin, 5e s., n° 4, automne 1957, pp. 21-24.
René-Louis Doyon, Molière, panacée universitaire II. Les Livrets du Mandarin, 5e s., n° 6, mars 1958, pp. 1-30.

Hippolyte Wouters et Christine de Ville de Goyet, Molière ou l’auteur imaginaire, Bruxelles, Complexe, 1990, 149 p. 12 €

Dominique Labbé, Corneille dans l’ombre de Molière. Histoire d’une découverte. Paris-Bruxelles, les Impressions nouvelles, 2003, 144 p., 15 €
Dominique Labbé, Séminaire du groupe Langues Information Représentations, 13 janvier 2004, Laboratoire d’Informatique pour la Mécanique et les Sciences de l’Ingénieur, annexe VI : ”Par qui ont été écrites les pièces de Molière ?”.

Denis Boissier, L’Affaire Molière, Paris, Jean-Cyrille Godefroy, 2004, 315 p., 20 €.

Par ailleurs, l’association cornélienne propose un site d’une richesse inattendue : L’Affaire Corneille-Molière. On y découvre que l’enjeu de ce watergate de l’université est plus lourd qu’il y paraît.

Enfin, l’affaire Molière a également inspiré les oeuvres suivantes :

  • Frédéric Lenormand, L’Ami du genre humain, roman, Paris, Robert Laffont, 1993.
  • Pascal Bancou, L’Imposture comique (Théâtre de La Huchette, 2000).
  • Hippolyte Wouters et Christine de Ville de Goyet, Le Destin de Pierre (Bruxelles, 1997).

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Haut de page